Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
en tournant les États d'Oubié, soit par le pays de Harar et le Chawa, où j'étais assuré d'être bien reçu par suite de mes relations avec Sahala Sillassé, gouverneur héréditaire du pays, soit encore par le Sennaar.
Mon frère, sous la conduite d'Ezzeraïe, partit immédiatement pour Moussawa avec ses bagages. Quant à moi, quelque raison que j'eusse de sortir au plus tôt des États d'Oubié, je dus rester à Adwa pour ne point me séparer de mon cheval, que ses soles échauffées par sa longue marche dans le bas pays rendaient incapable de se remettre en route. Les chevaux ne sont pas ferrés, ce qui leur est très-avantageux sous quelques rapports, mais les expose, dans les Kouallas surtout, à la sole battue qu'un repos absolu peut seul guérir. Des amis m'ayant dit qu'on parlait de m'enlever mon cheval, nous nous gardâmes de nuit et de jour de façon à décourager les malveillants.
À Adwa, je retrouvai Jean, qui n'était pas encore parti, et je pus jouir de la société des missionnaires catholiques récemment arrivés.
On se rappelle que lorsque, au Caire, je proposai au P. Sapeto de nous accompagner en Éthiopie, je lui appris en même temps qu'il existait dans ce pays une loi qui excluait tout prêtre catholique, et que cette loi avait fait plusieurs martyrs parmi les missionnaires de la Propagande. Lorsque, arrivé à Moussawa, je m'étais détaché pour aller chez le Dedjadj Oubié lui demander l'autorisation de pénétrer dans le pays, le P. Sapeto, que l'idée du danger stimulait, avait généreusement insisté pour m'accompagner. En entrant à Adwa, je l'avais présenté aux missionnaires protestants comme un prêtre catholique, et, après une pareille démarche, son caractère sacerdotal ne pouvait rester un mystère pour personne. Aussi, quelques jours plus tard, lorsque, immédiatement après l'expulsion des Européens, le Dedjadj Oubié m'autorisait à aller chercher mon frère et à laisser séjourner le P. Sapeto dans ses États, comme il contrevenait ainsi le premier à la loi qui eût frappé ce Père lazariste, il ne parla de lui que comme d'un de mes compagnons, sans faire aucune allusion à sa qualité de prêtre. Le P. Sapeto, venu pour affronter le martyre, reprenait ainsi l'œuvre des missions catholiques, interrompue dans la haute Éthiopie depuis plus de deux siècles. En trois mois environ, il avait su se faire agréer par les indigènes et il avait célébré une première messe. En conséquence, lorsque mon frère était retourné en Europe, il lui avait donné pour la Propagande des lettres annonçant ces heureux résultats et demandant qu'on lui adjoignît d'autres missionnaires. Mon frère s'était rendu à Rome, où l'avait précédé la nouvelle des succès du P. Sapeto, auquel la Propagande avait adjoint deux autres missionnaires lazaristes, sous la conduite de M. de Jacobis, sacré depuis comme évêque d'Abyssinie. Le Dedjadj Oubié les avait accueillis favorablement, et, quoique arrêtés dans notre voyage, nous avions déjà la consolation de ne l'avoir pas tenté en vain, puisque nous étions l'humble cause de l'introduction en Éthiopie de prêtres catholiques destinés à relever la réputation des Européens dans le pays.
Nous étions convenus avec Ezzeraïe qu'après avoir conduit mon frère jusqu'à la frontière des États d'Oubié, il m'attendrait à Digsa chez son père, où je le rejoindrais. Mais, au lieu de m'y attendre, il revint à Adwa, en me disant que son père et lui étaient trop inquiets sur mon compte pour me laisser seul plus longtemps dans une ville occupée par les gens d'Oubié.
Après un repos d'environ trois semaines à Adwa, mon cheval s'étant remis, je me disposais à partir, lorsque j'appris que le Dedjadj Oubié arrivait.
Afin d'éviter l'apparence d'une fuite, que ma conscience n'autorisait en rien, j'attendis qu'il vînt camper près de la ville. Les principaux habitants se portèrent à sa rencontre pour lui souhaiter la bienvenue et lui faire leur cour; je ne fus pas inquiété, et le surlendemain, au lever de la lune, je partis avec Ezzeraïe pour Digsa, où nous arrivâmes sans encombre le deuxième jour.
Quand nous entrâmes chez le Bahar Négach, Ezzeraïe lui dit en me désignant:
—Je vous le ramène; c'est à vous désormais de veiller sur un fils de plus que mon attachement vous a acquis.
Je trouvai chez le Bahar Négach une lettre de mon frère qui m'apprenait qu'Aïdine Aga tenait au pied du plateau de Digsa
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