Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
allait se régler; que celui-ci ne manquerait pas d'ordonner qu'on relâchât mon frère et nos bagages; et ils étaient bien aises d'assurer au moins à leur Polémarque un présent précieux pour le pays.
Dans cet ordre d'idées, mon frère et moi nous ne comprîmes pas alors que le Dedjadj Oubié, nous regardant comme ses clients, pouvait considérer comme une espèce de soustraction faite à son appartenance le don offert à son voisin et rival le Dedjadj Kassa. Heureusement nous fûmes assez bien inspirés pour offrir au Dedjadj Oubié les deux fusils de rempart qui nous restaient, ce qui atténua la première impression fâcheuse qu'à notre insu nous lui avions faite; et, lorsque après un court séjour à Adwa, nous nous présentâmes avec nos bagages à son camp, en lui annonçant que nous partions sur-le-champ pour Gondar, l'assurance naïve de cette démarche l'avait pris à l'improviste, et il avait consenti à notre voyage. Malgré les présents considérables qu'ils lui avaient faits et la faveur dont ils avaient joui d'abord, les missionnaires protestants n'avaient pu obtenir de se rendre dans le haut pays.
Après environ trois semaines de séjour, mon frère avait quitté Gondar pour retourner en Europe, et il s'était chargé de deux lettres: l'une pour le roi des Français, l'autre pour la reine d'Angleterre, que les notables de Gondar avaient écrites à ces deux souverains pour les prier d'arrêter, par leur intervention, l'invasion d'une armée égyptienne qui se rassemblait au Sennaar dans le but avoué de pénétrer en Dambya et de mettre Gondar à sac. Cet acte de complaisance, qui a contribué à sauvegarder, pour un temps du moins, l'intégrité de ce pays chrétien, déplut néanmoins au Dedjadj Oubié, qui aurait voulu être le seul prince éthiopien à entrer en relations avec une puissance européenne.
Lorsque, après mon séjour auprès des Dedjazmatchs Guoscho et Birro, séjour qui m'avait donné une certaine notoriété dans le pays, je m'arrêtai en Tegraïe, en allant à Moussawa au devant de mon frère, je ne me montrai pas assez bon courtisan à la cour du Dedjadj Oubié, et ce qui, dans d'autres circonstances m'eût été propice, le tourna encore contre moi. Ma connaissance des mœurs du pays était suffisante pour apprécier la légèreté avec laquelle les gens de la maison de ce prince traitaient tout Européen, et ma réserve même lui fut présentée dans un sens hostile, lorsque ses gens eurent découvert que leur maître était moins bien porté pour moi. De plus, la réception que j'avais trouvée auprès du Dedjadj Guoscho et du Ras Ali lui faisait désirer, à ce que me dit le religieux et comme cela me fut confirmé depuis, que je m'attachasse à son service. Il n'est pas surprenant que des dispositions de cette nature dussent s'envenimer au moindre prétexte, à la moindre maladresse de ma part.
Pendant mon séjour auprès du Dedjadj Guoscho, le Dedjadj Kassa avait été vaincu et pris par le Dedjadj Oubié. Le vainqueur n'avait voulu voir dans Coffin qu'un agent de l'Angleterre, et l'avait fait mettre aux fers jusqu'à ce qu'il lui eût livré ce qui restait à Moussawa des fusils envoyés à la famille de Sabagadis. Depuis cette défaite de Kassa, le Dedjadj Oubié devait s'intéresser d'autant plus aux rapports de son pays avec des puissances étrangères, que son pouvoir s'étendait désormais depuis Gondar jusqu'à la mer Rouge.
Lorsque peu après nous nous présentâmes devant lui à Maïe-Tahalo, c'était encore pour aller à Gondar. Mon frère revenait d'Europe, et le Dedjazmatch supposait qu'il rapportait la réponse aux messages dont il s'était chargé. Si nous avions été au courant des dispositions du Dedjazmatch contre nous, nous aurions pu peut-être prévenir sa mauvaise humeur, en allant au-devant de sa pensée, et en lui disant que mon frère avait remis les lettres des notables gondariens aux chefs des gouvernements de France et d'Angleterre, lesquels avaient immédiatement arrêté l'agression imminente du vice-roi d'Égypte, mais qu'il n'était porteur d'aucun message en réponse. Nous n'en fîmes même pas mention. Pour toutes ces causes, il est probable que le Dedjazmatch aurait empêché notre second voyage à Gondar; seulement il l'aurait fait avec des formes moins indignes de son rang, si, par dernière mésaventure, nous ne fussions arrivés à Maïe-Tahalo un matin qu'il avait pris d'un hydromel trop capiteux. Car, quelque peu de
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