Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
sympathie que j'aie pu sentir pour le Dedjadj Oubié, je dois reconnaître qu'il usait presque toujours de formes courtoises.
En me mettant au courant des raisons de ma disgrâce, le bon religieux, qui désirait me voir retourner en Gojam, m'avait conseillé fortement d'accepter la réconciliation qui m'était offerte, en ajoutant que les événements politiques ne manqueraient pas de m'ouvrir une issue vers Gondar. Mais je dus renoncer, jusqu'au jour où je saurais ce qu'était devenu mon frère, à profiter des nouvelles dispositions du Dedjadj Oubié.
Tout ce que je pus apprendre dans la suite sur le compte de ce solitaire, qui s'était si vivement intéressé à moi, fut qu'on le nommait en religion Abba (père) Waldé Mariam, et qu'il mourut, comme il le désirait, en arrivant à Jérusalem.
La semaine suivante, un des pèlerins revint de la côte me demander, de la part d'Abba Waldé Mariam et de ses compagnons, d'entrer dans une affaire qui les préoccupait vivement. Parmi les nombreux esclaves que la caravane conduisait à Moussawa, ils avaient découvert une jeune chrétienne volée en Gojam et vendue à un trafiquant musulman qui, pour la soustraire aux recherches, l'avait fait voyager de nuit jusqu'en Tegraïe. À Moussawa, les pèlerins, pensant que le meilleur fruit de leur pèlerinage à Jérusalem serait de sauver une âme en voie de perdition, s'étaient cotisés avec les trafiquants chrétiens pour racheter l'esclave, et ils offraient tout ce qu'ils possédaient. Mais le musulman, encouragé par ses coreligionnaires, demeurait inflexible. Je descendis à Moussawa, où, grâce à l'intervention secrète du gouverneur, je contraignis le musulman à lâcher sa proie, et Kassa, le plus riche trafiquant chrétien de Kouarata, sur la frontière du Gojam, fut chargé de reconduire la jeune fille à sa famille. Elle était fort jolie: il s'en éprit et il en fit sa femme.
De retour à Maharessate, je reçus mes messagers venant de Gondar avec mes effets. L'excellent Lik Atskou déplorait vivement ma disgrâce chez Oubié: «Résigne-toi, Dieu est le plus fort, me faisait-il dire, et il ne se sert peut-être de cet Oubié que pour te détourner de ce malheureux pays, où les caprices de nos soudards se sont substitués à la loi et aux convenances, et où tu aurais fini peut-être par succomber. Tout arrive par la permission de Dieu; si nous ne devons plus nous revoir sur terre, je t'attendrai là-haut.»
Bientôt une lettre de mon frère, datée d'Aden, m'apprit qu'il était encore souffrant et qu'il m'attendait avec impatience. Rien ne me retenait plus désormais; je quittai Maharessate pour Moussawa, où l'on se trouvait au plus fort de l'été. Les chaleurs étant accablantes, je dus aviser immédiatement à y soustraire mon cheval, sujet d'envie de la part des principaux officiers d'Oubié et cause d'inquiétude continuelle pour mes gens, depuis que j'étais séparé des Dedjazmatchs Guoscho et Birro; car en quittant les États de ces Polémarques, nous étions entrés dans la catégorie de soldats sans maître, sans protecteur régulier par conséquent, et nous ne dépendions plus que de notre adresse à nous faire bien venir ou à nous faire respecter. Mais il restait à ce cheval bien d'autres aventures à courir. Je le confiai à Jean, auquel l'air et le régime natals devenaient de plus en plus nécessaires, et, comme mon frère m'en exprimait le désir, je le chargeai d'offrir le cheval en son nom à Mgr le prince de Joinville, comme témoignage de sa reconnaissance pour l'attention que ce prince avait bien voulu prêter à ses projets de voyages scientifiques. Ce cheval arriva heureusement, avec son conducteur, à Djeddah, où le consul de France l'embarqua pour Kouçayr. Il fit naufrage sur la côte d'Égypte, se sauva à la nage avec son Basque, et, après plusieurs incidents peu ordinaires, il arriva à Toulon, où, d'après la volonté de son illustre destinataire, il fut remis à Mgr le duc d'Aumale, qui partait pour l'Algérie.
Il me fallut attendre un bâtiment à destination d'Aden et je passai quelque temps à jouir de l'intimité d'Aïdine Aga et d'un Arabe originaire de Bassora, qui venait de remplir auprès du Ras Ali et du Dedjadj Oubié une mission dont l'avait chargé le pacha de la Mecque. Cet Arabe, d'une érudition exceptionnelle pour son pays, avait étudié les mathématiques, l'astronomie et se servait même de l'astrolabe; il parlait avec enthousiasme de quelques
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