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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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française, il avait envoyé ostensiblement auprès du Dedjadj Sabagadis, qui gouvernait alors le Tegraïe, une mission conduite par un agent intelligent, M. Salt, qui avait visité le pays, peu de temps auparavant, en compagnie de lord Valentia. M. Salt réussit dans sa mission et retourna en Angleterre; mais les relations qu'il avait nouées avec le Dedjadj Sabagadis restèrent sans effet, à cause de la mort de ce Polémarque tué peu après, à la suite d'une bataille perdue contre le Ras Marié, Polémarque du Bégamdir. Le Dedjadj Kassa, fils et successeur de Sabagadis, ne put conserver de l'héritage paternel qu'une petite portion du Tegraïe. Le reste fut donné en investiture par le Ras du Bégamdir au Dedjadj Oubié.
    Entre autres présents, le gouvernement anglais avait envoyé au Dedjadj Sabagadis trois mille fusils, qui n'arrivèrent à Moussawa qu'après la mort du destinataire; et, lors de mon entrée dans le pays, malgré les réclamations du gouvernement anglais et les efforts d'un de ses agents subalternes, nommé Coffin, l'introduction de ces armes était arrêtée tantôt pour un motif, tantôt pour un autre, mais surtout par l'opposition du gouverneur de Moussawa. Coffin, ancien matelot attaché à la mission de M. Salt, vivait depuis près de trente ans en Tegraïe comme serviteur du Dedjadj Sabagadis d'abord, et puis du Dedjadj Kassa. Adopté par les indigènes dont il avait pris les mœurs et même la religion, il n'était guère plus considéré comme agent de l'Angleterre; mais les rapports entre la famille de Sabagadis et le Gouvernement anglais, quoique tombés en apparence, avaient laissé dans le pays l'idée confuse que l'Angleterre méditait de s'emparer du Tegraïe.
    Sabagadis mort, dès que la prépondérance croissante du Dedjadj Oubié fut reconnue, des missionnaires allemands s'étaient présentés à lui comme nationaux anglais, et bientôt ils obtinrent de s'établir à Adwa. Mais, au bout de quelque temps, le clergé vit en eux des ennemis de sa foi, dangereux par l'argent qu'ils répandaient, et les notables, jaloux des dépenses hors de proportion avec le pays que faisaient ces étrangers et de l'importance de plus en plus grande qu'ils donnaient à leur établissement matériel, les soupçonnèrent de n'être venus dans le pays que pour servir les desseins de l'Angleterre; aussi l'opinion publique parut-elle satisfaite de leur expulsion.
    Les choses en étaient à ce point lorsque nous arrivâmes à Moussawa. Le Dedjadj Oubié renvoyait de ses États les missionnaires et les trois ou quatre autres Européens qui s'y trouvaient. Laissant mon frère à Moussawa, je m'étais rendu à Adwa avec le père Sapeto, et, en me présentant devant le Dedjadj Oubié, malgré ces circonstances si contraires et malgré tous les avis, j'avais été assez heureux pour trouver grâce et obtenir que le père Sapeto pût s'établir à Adwa et mon frère entrer dans le pays.
    Jusque-là mon ignorance même des intérêts qui s'agitaient autour de moi m'avait procuré une réussite inexplicable aux yeux de ceux qui étaient le mieux informés, et avait fait supposer aux missionnaires protestants que le père Sapeto, mon frère et moi, nous devions être des agents du gouvernement français, et que nous n'étions point étrangers à leur expulsion.
    Après cette première chance si heureuse, je redescendis vers la côte pour y prendre mon frère, et au retour, à deux journées de route d'Adwa, nous fûmes arrêtés, comme on l'a vu, par le Blata Guébraïe. Mais cet incident qui remit en question notre voyage, puisque le Blata n'allait à rien moins qu'à nous dépouiller entièrement, servit au contraire à en assurer l'exécution. En effet, la façon inespérée dont je pus m'échapper de nuit des mains de ce chef, pour aller me mettre sous la protection du Dedjadj Oubié, acheva de me gagner la faveur du Dedjazmatch.
    D'après les mœurs féodales du pays, je devenais ainsi le client du Dedjadj Oubié, presque son homme, et je lui donnais le droit de réclamer, comme sien, tout ce qui était à moi. Les paysans de Maïe-Ouraïe, qui retenaient encore mon frère le comprirent, et, sitôt ma fuite, ils l'encouragèrent à se rendre avec un de nos trois fusils de rempart chez le Dedjadj Kassa, Polémarque du pays, suzerain du Blata Guébraïe leur seigneur. Ils sentaient que ce dernier perdait désormais son importance et que c'était entre le Dedjadj Oubié et le Dedjadj Kassa que notre sort

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