Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
chamelle ou de chèvre, qui, à l'époque de certaines herbes, leur emprunte des principes tels, que la plupart des indigènes cessent pour un temps de le prendre pour nourriture et ne l'emploient plus que comme purgatif. Le botaniste allemand ignorait ce détail d'hygiène locale; il avait reçu l'hospitalité chez le gouverneur et s'était fait servir un matin du café au lait, dont les conséquences l'avaient épouvanté au point de lui faire croire à un empoisonnement. Aïdine fut tellement troublé par l'accusation, que, sans penser même à ces circonstances, il se contenta de faire agir ses amis au Caire. Heureusement pour lui, l'accusation tomba faute de preuves.
Depuis notre mésaventure chez le Dedjadj Oubié, Aïdine Aga témoignait de sa sollicitude pour nous, et nos rapports étaient devenus de plus en plus intimes. Il nous dit un jour dans un moment d'épanchement:—Je vous parle là de choses dont je ne parle à personne; mais par le prophète, je vous tiens en grande affection, et les confidences que je vous fais nous serviront de gages pour le jour où nous nous retrouverons dans un monde meilleur. Je me figure que le paradis est au sommet d'une montagne de lumière; bien des sentiers en sillonnent les abords; Allah sans doute permettra que tous aboutissent à la cîme. Nos ulémas ne disent point ainsi, non plus que les docteurs de votre loi, mais j'aime à garder cette croyance. Je ne suis qu'un soldat de fortune; un bon maître (qu'Allah et le prophète le glorifient!) m'a fait ce que je suis. Presque enfant, j'ai quitté mon pays et ma religion; car j'étais né chrétien, et voici que lorsque ma moustache grisonne, c'est de la main de deux frères chrétiens que je reçois le plus grand bienfait qu'on puisse recevoir des hommes.
Puis, il nous raconta l'histoire suivante:
Il y avait dans une ville d'Asie un riche marchand, exact observateur des lois du Livre, Allah et le prophète le protégeaient en tout. Sa prospérité était sans pareille; chaque caravane lui ramenait des serviteurs rapportant des marchandises de toutes les parties de la terre, où ils allaient commercer pour son compte; ses troupeaux ne se comptaient que par mille; son harem était égayé par de nombreux enfants, grandissant sous les yeux de mères toujours belles et fécondes. Le Pacha de sa province se tenait pour honoré par ses visites et se levait pour le recevoir. La ville respectait ses moindres volontés; les pauvres l'appelaient le généreux, les ulémas de toutes les mosquées l'appelaient le magnifique; Kadis et Muftis écoutaient ses conseils; et dans toutes les villes, les poëtes chantaient sa louange. Il ne se promenait que dans ses vastes jardins. Il avait des fleurs en toute saison, des sources abondantes, beaucoup d'ombre, et il était toujours en santé. On le nommait Hadji Marzawane. Assis un jour dans son divan, il songeait, lorsqu'un serpent parut en criant:
—Protection, protection, au nom d'Allah!
—Au nom d'Allah et du prophète, je te donne ma protection, dit Marzawane. Mais d'où viens-tu? qui es-tu?
—Je suis poursuivi par les soldats de Sa Hautesse; ils vont arriver. Cache-moi.
Marzawane lui dit de se blottir derrière les coussins de son divan.
—Non, dit le serpent, on m'a vu entrer ici, et fussé-je enroulé dans les cheveux de ta favorite, mes ennemis m'y découvriraient. Écoute; les voilà qui approchent. Si tu ne veux offenser Allah et son prophète, tu n'as qu'un moyen: Ouvre ta bouche, que je me cache dans ta poitrine.
Marzawane recula d'horreur; mais la voix des soldats montait de plus en plus.
—Soit, dit-il, puisque tu es venu au nom du Miséricordieux!
Le serpent disparaissait dans la gorge de son hôte, lorsque ses poursuivants entrèrent en criant:
—Où est le traître? Malheur à ceux qui couvrent l'ennemi du Sultan!
Marzawane leur dit que l'ennemi du Padichah était le sien; que sa maison était vaste, qu'on pouvait s'y introduire inaperçu, et qu'ils n'avaient qu'à la visiter en tous sens.
Les soldats fouillèrent partout; ils exigèrent même de pénétrer dans le harem interdit, et c'est à peine s'ils respectèrent les voiles des femmes. Attérés d'avoir humilié ainsi sans profit cet homme puissant, ils se jetèrent à ses pieds, baisèrent le pan de son caftan en lui demandant grâce, et ils se retirèrent pénétrés de sa générosité.
Marzawane dit alors au serpent:
—Sois sans crainte désormais. Sors; tu gênes les battements de mon
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