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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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la sympathie pour moi, et pour me le prouver, il m'offrit de me donner sur l'heure une maison.
    Je profitai de ce revirement; j'envoyai prendre à bord le secrétaire de mon frère, et notre débarquement commença. Le vieux Saber, tout ragaillardi, pérorait au milieu d'un groupe. La maison qui me fut donnée se trouvant trop petite, le Sultan fit évacuer la maison voisine. Mon frère était encore souffrant, je le conduisis à notre nouvelle demeure et il y était à peine installé, notre dernier colis venait d'être mis en place, que le brick de guerre, arrivé à trois encablures de terre, fit ronfler la chaîne de son ancre, et comme jusque là il n'avait arboré qu'une flamme, il hissa son pavillon qu'il appuya d'un coup de canon. Le pavillon était aux couleurs britanniques.
    La stupeur fut générale. Le Sultan dit en arabe:
    —Nous avons fait ce que nous avons pu. Francs contre Francs, qu'ils s'arrangent maintenant!
    Saber, les yeux pétillant de malice, s'écria:
    —Mais il n'est pas français, son bâtiment!
    Et passant près de moi:
    —Allah te bénira, me dit-il, pour le tour que tu leur as joué.
    Je me retirai dans notre logement. Le capitaine du brick vint tout d'abord, avec ses officiers, nous faire visite. C'était le capitaine Christofer, que je connaissais déjà. Je le plaignis sincèrement d'avoir à accomplir une mission qu'il désapprouvait au fond, car c'était un honnête et aimable homme. Il eut une conférence avec le Sultan et les principaux habitants; il nous fit une seconde visite dans la soirée, me serra la main d'une façon significative et retourna à bord, nous laissant touchés de ses procédés. Le lendemain, il leva l'ancre.
    Dès lors commença pour nous une existence pénible et monotone. Les habitants de Toudjourrah sont tous trafiquants; ils vont commercer à Berberah, à Moka, à Hodeydah, à Komfodah et à Djeddah, quelques-uns jusqu'au golfe Persique et dans l'Inde, et presque tous font le pélerinage de la Mecque; leur principal marché dans l'intérieur est en Chawa; ils se rendent aussi en Argoubba et dans le Wara-Himano, mais ils ne vont que très-rarement jusqu'à Gondar. Ils ne séjournent que très-peu de temps à Toudjourrah et passent leur vie en expéditions commerciales jusqu'à ce que l'âge les contraigne à rester dans leurs familles; ils se font alors remplacer par leurs fils, ou bien ils confient leurs intérêts à des esclaves éprouvés qu'ils recommandent aux chefs de caravanes. C'est ainsi que Saber continuait son commerce. Leur richesse consiste en argent et en troupeaux de bœufs et de chameaux, dont ils ne profitent guère, l'aridité de leur territoire les contraignant à les confier à des pasteurs bédouins qui vivent à trois ou quatre journées dans l'intérieur et qui prélèvent pour leur garde plus de la moitié des produits. Le Sultan seul ne trafiquait pas. Comme il le disait bien lui-même, son autorité n'était que nominale; ses sujets, tous Afars de nation, et dont l'organisation sociale, étudiée par mon frère, rappelle celle des premiers Romains par sa division en curies, décuries et centuries, se gouvernent eux-mêmes sous sa présidence. Ils sont d'une grande sobriété et appartiennent à la vieille école des musulmans par leur abstension de toute boisson enivrante. On trouve devant chaque maison un petit espace de terrain bordé de grosses pierres et couvert d'un gravier scrupuleusement propre; c'est là que les habitants font leurs prières, boivent le café, reçoivent leurs visites et prennent le frais après le coucher du soleil.
    Mon premier soin dut être de me créer des relations. Dans les diverses parties de l'Afrique que j'ai visitées, j'ai été frappé des sentiments de répulsion et de crainte que l'Européen éveille chez les indigènes des diverses races: les hommes nous regardent avec défiance, les femmes nous fuient, les enfants ont peur et s'écartent. Mais l'ignorance et la curiosité naturelles à leur âge poussent ces derniers à se rapprocher de nous; aussi, n'est-il pas sans utilité de se faire bien venir d'eux. En tout pays, les caresses faites aux enfants plaisent aux mères, aux nourrices, aux femmes de la maison, et quand le maître rentre chez lui, les enfants deviennent nos meilleurs protecteurs. Que le voyageur veuille ou non s'appliquer à l'étude des hommes, il ne doit point perdre de vue que pour en être accueilli, il doit se les concilier; qu'à cette fin il faut qu'il soit animé

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