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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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miellée. Il m'expliqua comme quoi mon arrivée mettait la population en émoi: un fort parti faisait opposition au Sultan, et ce parti s'intéressait vivement à l'issue de ma démarche, la première de ce genre depuis que le Sultan et ses partisans étaient à la solde du gouverneur d'Aden.
    Encouragé par ces révélations, je retournai à la demeure du Sultan, devant laquelle une soixantaine d'hommes accroupis en cercle tenaient conseil. Dès les premières objections opposées à notre débarquement, notre patron de barque, lui, avait cru prudent de remonter à bord. J'entrai dans la maisonnette, et je me postai à la lucarne du fenil pour observer ceux qui délibéraient sur moi. Plusieurs orateurs se levèrent successivement; après une discussion longue et animée en langue afar, le Sultan et quatre ou cinq des plus anciens vinrent s'asseoir à l'entrée de la maisonnette et me firent signe de descendre. Ils me dirent que le Conseil m'enjoignait de me rembarquer immédiatement. Je me bornai à demander leur injonction par écrit. On apporta plume, encre et papier, et je regardai mon entreprise comme avortée. Mais la difficulté fut de s'entendre sur la rédaction: j'insistais pour l'emploi de termes explicites et trop peu diplomatiques par leur franchise. La plume et l'encrier furent bientôt mis de côté, et le Sultan retourna avec ses compagnons au Conseil, où la discussion reprit avec une vivacité nouvelle. Enfin, à bout d'arguments sans doute, le Sultan s'écria en arabe cette fois, pour que je le comprisse:
    —Que veut-il donc, cet homme? Veut-il envahir la demeure des gens? Ne serions-nous plus maîtres chez nous?
    Tous les membres du Conseil se tournèrent vers moi.
    —Je ne veux envahir la demeure de personne, leur dis-je en m'avançant. Je suis un voyageur; il y a longtemps que je n'ai d'autre abri que le ciel; je vais au Chawa; Toudjourrah est sur ma route; je sais que vos pères n'en ont jamais fermé l'accès aux gens inoffensifs. Si, comme on le dit, vous avez aliéné votre héritage pour le mettre à la discrétion du gouverneur d'Aden, vous avez dû le faire à la face d'Allah, et tous ces anciens ici réunis ne sauraient être honteux d'une résolution prise sur la terre où dorment leurs aïeux. Pourquoi refuseriez-vous d'avouer par écrit ce qui, tôt ou tard, ne manquera pas de devenir public? À Moka, à Djeddah, à la Mecque, dans toute l'Arabie, qui me croirait, si je n'apportais une preuve incontestable de l'interdiction inouïe dont vous me frappez? Que chacun de vous se mette un instant à ma place et juge.
    —C'est très-bien, dit le Sultan; mais il nous est impossible de te donner le papier que tu demandes.
    —À défaut de papier, repris-je, je vous offre mon corps; vous pouvez y inscrire vos volontés.
    —Mais tu veux donc jouer avec la mort? me dit l'un d'eux.
    —S'il est écrit que mon corps doit rester ici, répondis-je, je ne le porterai pas plus loin; mais les Français sauront où est tombé leur compatriote.
    Il me sembla que plusieurs m'approuvaient; d'autres parlaient avec véhémence et se tournaient vers moi avec des gestes menaçants; un moment je crus qu'ils ne se contiendraient plus. Mais l'effervescence se calma; on délibéra, on discuta longtemps et le Conseil se dispersa.
    Assis sur le seuil de la maisonnette, je cherchais à prévoir la fin de toute cette affaire, lorsqu'une vieille esclave sortit d'une maison voisine, celle de la femme du Sultan, en terminant une phrase en amarigna. Je la saluai dans sa langue; elle s'arrêta stupéfaite; et quelques mots échangés établirent un lien entre nous. Volée à une famille chrétienne dans le Chawa et vendue à Toudjourrah, cette malheureuse était devenue gardienne des deux filles du Sultan, âgées de seize à dix-huit ans. Elle rentra chez ses maîtresses, et bientôt, en passant près de moi, elle me dit à demi-voix en amarigna:
    —Courage! Le maître ne sait que faire; persiste, et tu resteras.
    Quelques instants après, une quarantaine d'hommes, armés de boucliers, de coutelas et de javelines, vinrent se grouper à quelques pas de moi. L'un d'eux, dont j'avais remarqué la violence durant le Conseil, vint me sommer en mauvais arabe de m'embarquer sur-le-champ. Je restai assis sans répondre, adossé à la maisonnette. La troupe m'entoura.
    —Tu n'as donc pas de sens? me dirent-ils. Que te faut-il pour partir?
    —Ce que je vous ai dit: la sommation écrite ou la contrainte.
    Ils crièrent;

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