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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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relevant de Constantinople.
    —C'est possible, reprit-il avec suffisance, mais le gouverneur d'Aden, notre ami, désire qu'on ne s'arrête pas ici sans sa permission.
    Je lui dis que j'étais prévenu et que je m'attendais à cette réponse, mais qu'étant venu pour m'assurer si, comme on le disait, Toudjourrah interdisait son territoire à mes compatriotes, je ne pouvais me contenter d'une déclaration verbale; qu'il voulût bien me la donner par écrit, et qu'immédiatement je remettrais à la voile.
    Ayant vainement essayé de me dissuader, il m'engagea d'un air paterne à remonter à bord pour me concerter, disait-il, avec mes compagnons, et revenir ensuite m'expliquer avec son conseil, qu'il allait convoquer. Mais sentant sous mes semelles cette terre de Toudjourrah, qui commençait dans mon esprit le chemin du Chawa et du Gojam, j'étais peu disposé à la quitter à la légère: si pour prévenir mon frère de ce qui se passait, je me fusse remis sur l'eau, j'aurais perdu tous mes avantages; je refusai donc, et j'allai me promener sur le bord de la mer.
    Je savais qu'un indigène nommé Saber avait eu des relations avec mon compatriote, M. Dufey, et je désirais d'autant plus le voir, que le Sultan avait feint d'ignorer jusqu'à son nom. Des enfants qui jouaient sur la plage m'indiquèrent sa demeure. J'y courus et je trouvai mon homme, à demi-nu, accroupi sur un alga, un chapelet à la main et son coran ouvert devant lui. Il avait la tête rasée et portait, comme par mégarde sur l'occiput, une calotte de l'Hedjaz ridiculement petite; il était du même âge que le Sultan, mais sa physionomie spirituelle et narquoise me fit bien augurer de lui. Une élégante jeune fille, assise au pied de son alga, préparait des gâteaux de blé; les tresses de ses cheveux noirs pendaient presque jusqu'à terre. À mon entrée, elle ramena son voile sur sa figure et disparut.
    —Que le salut d'Allah soit sur toi! me dit Saber, en me faisant prendre place à côté de lui.
    Je lui dis qu'ayant entendu parler de ses bons rapports avec mon compatriote M. Dufey et n'ignorant pas non plus que ses ancêtres étaient originaires de l'Yémen, la terre bénie, je venais pour le saluer et m'éclairer de ses conseils précieux pour moi dans la position où je me trouvais; je fis enfin de mon mieux pour gagner sa bonne volonté.
    Sur plusieurs points de ces côtes d'Afrique, il y a quelques familles originaires d'Arabie, et ces familles sont d'autant plus fières de leur origine que, dans ces parages, lorsqu'on veut compléter l'éloge d'un homme, on dit: «C'est un véritable Arabe.» Il se trouvait précisément que Saber était infatué de son extraction arabe, qu'il prétendait être la seule qui fût avérée à Toudjourrah. Au pétillement de ses yeux, à la façon dont il se rengorgea en s'agitant sur son alga, je vis que j'avais touché juste.
    —Ô mon maître, me dit-il, tu as donc entendu parler de moi? Je ne suis qu'un obscur trafiquant perdu ici, au milieu de gens grossiers, et voici que mon nom a frappé ton oreille au delà de la mer! C'est naturel après tout: bonne race est le plus précieux des biens qu'Allah nous donne. Que le Prophète bénisse ceux qui m'ont transmis le sang d'Ismaël! Mais toi, comment t'appelles-tu?
    —Mikaël.
    —Eh bien, Mikaël, puisque c'est ton nom, tu es venu ici pour aller dans le Chawa sans doute? Mais ces gens sans religion ont aliéné le droit d'accueillir les étrangers. Mes pères, à moi, donnaient le pain et le sel aux meurtriers mêmes de leurs proches, quand au nom d'Allah, ils se présentaient devant leurs tentes; et ces fils de chiens se disent Arabes, après avoir mis leur hospitalité en tutelle des Anglais! Je sais ce qui se passe: on veut t'empêcher de te reposer ici, toi, l'étranger d'Allah, l'homme en voyage, qui ne demandes qu'à laisser sur notre terre l'empreinte de tes sandales. Aurais-tu envie de leur résister? Il sera curieux de voir ce qu'ils pourront faire. J'ai entendu parler des Français; ils ne sont pas riches comme les Anglais, dit-on, mais ils sont braves. Notre chef et ses acolytes ont follement accepté l'argent d'Aden, croyant qu'il n'y avait qu'à le prendre; ils vont avoir à le gagner. Les Français n'ont-ils pas aussi des vaisseaux sur la mer?
    —Sans doute, répondis-je.
    —Eh bien, fortifie-toi; dis à ces gens: Allah m'a conduit ici et j'y reste. Ils seront embarrassés.
    Il appela sa fille et nous fit servir le café et de l'eau

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