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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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les frontières de l'Empire. Il surprit et battit en plusieurs rencontres les troupes du Méridazmatch ou Polémarque du Chawa, qui, s'étant mis lui-même en campagne, fut surpris, vaincu et tué. Les troupes d'Ahmed grossissaient à chaque succès. Pour protéger le Chawa, l'Empereur envoya une armée; Ahmed la défit en bataille rangée et tua de sa main le Ras qui la commandait. Pour donner à ses entreprises une signification religieuse et attirer du même coup ses coréligionnaires sous son drapeau, Ahmed prit alors, conformément à l'usage arabe, le titre d'Imam, qui signifie champion de la religion. Les chrétiens lui donnèrent le sobriquet de Gragne , qui veut dire gaucher. Il dérouta encore d'autres armées impériales. L'empereur marcha contre lui, fut battu dans une grande bataille, et il fuyait devant son vainqueur, qui le pourchassait de frontière en frontière, exterminant les chrétiens qui refusaient de reconnaître Mahomet, lorsqu'une bande de héros portugais, envoyés au secours de l'Empire chrétien, défit Ahmed Gragne dans une bataille livrée en Bégamdir. Ahmed y laissa la vie, et la restauration de l'Empire put s'effectuer.
    Les neuf années, dit-on, durant lesquelles Ahmed Gragne ravagea l'Empire furent les plus désastreuses peut-être que la nation eut à traverser. Partout où campait l'Imam, les populations chrétiennes étaient réduites à opter entre l'Islamisme ou la mort. Son armée s'abattait sur une province, la pillait, l'incendiait et passait au fil de l'épée tous les habitants mâles. Partout les églises furent dépouillées; quelques-unes renfermaient des richesses considérables: on en cite dont la toiture était recouverte de lames d'or. D'autres possédaient des bibliothèques précieuses, monuments des siècles les plus reculés 8 , et les plus anciens sanctuaires furent jalousement détruits par le feu. Une portion considérable de la population se réfugia chez les peuples voisins, où elle vécut pour un temps: beaucoup de ces réfugiés s'unirent à des femmes étrangères et donnèrent naissance à des générations, qui ont modifié profondément la physionomie originelle de l'antique race chrétienne 9 . De tous côtés, des bandes d'hommes résolus à mourir au moins les armes à la main, prenaient refuge dans les cavernes et autres lieux-forts qu'offrent si fréquemment les kouallas; ils y vivaient d'herbes, de racines ou de la viande des animaux sauvages, s'entendaient pour harceler les troupes musulmanes qui, à leur tour, les traquaient comme des bêtes fauves, et, dès que le conquérant se portait sur d'autres points de l'Empire, ils reparaissaient sur les deugas et s'approvisionnaient en dévastant ce qu'avait laissé l'ennemi. Un grand nombre de ces refuges purent se soustraire aux armes des Musulmans. Mais, malheureusement, les monuments nationaux furent détruits à tout jamais. «Gragne ne put nous assujettir, disent les indigènes: il paraissait, rien ni personne ne restait debout devant sa face; mais tout se redressait contre lui, quand il était passé; et cet obscur rebelle, ce voleur de grands chemins n'aurait jamais pu faire impression sur nous, si nous n'eussions été divisés et affaiblis déjà par une série d'Empereurs qui nous avaient enlevé les choses de nos pères.»
Note 8: (retour) Je dois à l'obligeance d'un bibliophile, M. Gustave Grandin, la communication d'un Traité fort rare publié au dix-septième siècle, et dont voici un extrait:
    «... Muleasses, Roy de Tunis, avait érigé une très-splendide bibliothèque, au rapport de Louis d'Urreta, qui assure que Mena, Empereur d'Æthiopie, ayant entendu que l'armée de l'Empereur Charles V emportait cette despouille, il donna charge à des marchands égyptiens et vénitiens pour l'achepter à quelque prix que ce fût. Lesquels accomplirent une partie de son dessein, car, ils en obtindrent plus de trois mille, qu'ils lui envoyèrent. Ce prince les reçeut avec une grande ioye et les envoya incontinent dans la Bibliothèque Royale des Abyssins. Laquelle à présent ne cède à celle d'Alexandrie pour le nombre de ses livres; selon Paul Ioue et Henry de Sponde, évesque de Pamiers, en ses Annales sacrez l'an 1535, num. 22... ( Du Roy de Tunis, pages 50, 51. )
    ... Louis Urreta, Espagnol, asseure qu'au monastère de Sainte-Croix, au mont Amara, il y a trois bibliothèques très-amples. Lesquelles contiennent dix millions cent mille volumes escrits en beau parchemin et conseruez

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