Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
temps de guerre et selon leur étendue, soit un service militaire personnel, soit un certain nombre de fantassins ou de cavaliers équipés. Ces dispositions abritaient la couronne derrière une armée de vassaux directs, la plus nombreuse de l'Empire. Il mécontenta ainsi les communes, par des restitutions incomplètes; les cognats, par la dépendance où les tenait l'investiture annuelle; le clergé, par son immixtion dans la gestion des biens cléricaux; l'ancienne noblesse, par la création d'une noblesse nouvelle, et les grands vassaux par leur amoindrissement.
Malgré les efforts de ses prédécesseurs pour faire prévaloir le code de lois importé du Bas-Empire, la nation n'avait cessé de protester de diverses façons de son attachement à ses anciennes coutumes, et les nombreux essais qu'ils avaient faits d'imposer par la force l'usage exclusif de ces lois n'ayant produit que des résultats éphémères, il s'était établi insensiblement comme un compromis, par suite duquel la coexistence des deux régimes de lois fut acceptée, et les causes étaient soumises à l'un ou l'autre de ces régimes, au choix du défendeur. Seulement, les hommes de loi, conformément à leur principe que toute justice émanait de l'Empereur, prélevaient à leur profit sur les parties qui avaient recours à la justice coutumière, laquelle se rendait gratuitement, les frais et coûts qu'eut amenés le fonctionnement de la justice impériale.
Les Atsés maintinrent l'incarcération perpétuelle des agnats impériaux; ils s'habituèrent à continuer d'année en année le pouvoir aux princes cognats: pour plusieurs même, ils laissèrent s'établir une sorte d'hérédité. Pour mieux assurer leur pouvoir en augmentant l'influence de leur famille, ils établirent que les princesses de leur sang conféreraient la noblesse à leurs maris, ainsi qu'à leurs enfants. Le mariage civil et soumis au divorce prévalait de plus en plus; l'émancipation légale de la femme avait accru les désordres dans les familles; les princesses impériales surtout donnaient les plus scandaleux exemples d'immoralité, se mariaient et se démariaient, et finissaient par se contenter du concubinat. Les enfants issus de ces associations étant dépourvus d'apanages proportionnés à leur noblesse, avaient recours aux libéralités du souverain. Les décorations, les titres surtout se multiplièrent, perdirent leur prestige, et propagèrent à la fois l'insolence et le servilisme. Sur plusieurs points de l'Empire, les communes aidées de leurs fidèles alliés, le clergé et l'aristocratie des campagnes, entreprirent encore une fois la revendication de leurs droits. Elles furent réprimées cruellement et perdirent leurs dernières franchises. Tous les pouvoirs dépendirent du caprice impérial; la hiérarchie ne fut plus que fictive; une égalité servile régna pour tous.
Mais en vertu de ce principe qui veut que les pouvoirs accumulés s'altèrent et communiquent leur corruption à leurs dépositaires, les Atsés se dépravèrent, et la dissolution de l'Empire progressa rapidement. Par condescendance pour l'opinion publique, et comme pour faire illusion à leur peuple, les Empereurs affectaient de respecter quelques-unes de ses anciennes libertés. Selon la coutume, l'Empereur n'était réellement le maître que sur une grande route; dès qu'il posait le pied sur la terre d'une commune, il devait obéissance à la loi de cette commune et soumettre ses volontés aux officiers communaux. Les Atsés suivaient hypocritement cet usage et donnaient lieu quelquefois à des incidents semblables à celui du moulin de Sans-Souci, faisant croire ainsi à une liberté et à une justice qui n'existaient plus. Ils maintenaient aussi auprès de leur personne un Akab-Saat , officier chargé de rester debout auprès de l'Empereur quand il mangeait ou quand il buvait, et de lui arrêter même la main, dès qu'il jugeait que son maître dépassait les règles de la tempérance. L'Atsé ne prenait pas un repas, sans que l'Akab-Saat fût présent; on citait des cas où cet officier avait saisi la coupe. Mais les orgies impériales finissaient fréquemment par des exécutions.
Plusieurs vastes provinces de l'empire, telles que l'Innarya et le Kafa, le pays des Djindjerous, le Sennaar, une partie du grand Damote, le pays des Gallas-Azabo, avaient profité des suites de l'invasion musulmane, pour s'affranchir de leur vassalité à l'empire et se constituer en États
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