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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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noblesse territoriale indépendante crurent prolonger leur existence en se prêtant à leur propre abaissement. Il y a manière de faire accepter aux hommes ce qui leur est le moins profitable, et ces possesseurs de fiefs inaliénables, de terres libres à divers degrés, devinrent les courtisans de Gouksa. Une première année, il maintint le statu quo , en confirmant les investitures aux titulaires; puis, tous les ans, sous quelque prétexte, il en dépouilla un certain nombre, et, à la fin de son règne, il avait ruiné ou dispersé les grandes familles de ses États, dépossédé les seigneurs et notables qui lui portaient ombrage, augmenté considérablement ses revenus, annulé l'action politique du clergé, rétréci les libertés des communes, tout en augmentant leurs impôts; et concentré presque tous les pouvoirs en ses mains.
    Les Polémarques de sa mouvance suivirent son exemple, ainsi que les Polémarques du reste de l'Éthiopie, à l'exception, toutefois, de ceux de l'Agaw-Medir, du Damote et du Gojam. Ces provinces, gouvernées par des princes cognats de la famille impériale, conservèrent, en grande partie, les libertés traditionnelles. Quant à la province de l'Idjou, berceau de la dynastie de Gouksa, chaque fois que ses maîtres ont voulu attenter à ses franchises, elle a répondu par des rebellions énergiques, et c'est jusqu'à ce jour le pays de l'Éthiopie où le peuple jouit du plus de liberté. Presque partout ailleurs, le sort des populations fut livré à l'arbitraire d'un système féodal mutilé en ce qu'il pouvait avoir de bon. Les nobles dépossédés se firent tous soldats de fortune: les Polémarques mirent de l'émulation à les retenir à leur service, au moyen de dignités et d'investitures annuelles, et ces seigneurs temporaires exploitent et pressurent aujourd'hui à ruine les contribuables de leurs fiefs sans avenir pour eux. La rapacité de ces tyranneaux pousse les cultivateurs à un désespoir tel, que parfois des communes entières préfèrent abandonner leurs terres et émigrer dans les États voisins. À la mort ou à la chute du Polémarque, ils reprennent leurs héritages, si le règne de son successeur est plus équitable. Ceux qui se sentent de l'énergie s'enrôlent dans les bandes de soldats, préférant à la servitude de la vie des champs, les périls et l'indépendance de la vie militaire, et dans chaque province, le camp du Polémarque regorge de soldats turbulents et avides, vivant gaîment au jour le jour, tandis que les contribuables des villes, et surtout ceux des campagnes, vivent furtivement, en proie à toutes les craintes, et réduits à ruser pour dissimuler même leur pain quotidien. La puissance des Polémarques est elle-même précaire: sujets aux retours qu'entraîne la fréquence des guerres, aux trahisons de leurs alliés, aux désertions de leurs soldats, peu d'entre eux peuvent se vanter d'avoir reçu le pouvoir de leur père, presque aucun n'est assuré de le léguer à son fils. Quelque soldat de fortune, parti quelquefois des rangs les plus humbles, recueille son héritage.
    Comme on l'a vu, d'après la constitution antique, le droit de justice n'émanait pas des Atsés; ils l'exerçaient, il est vrai, mais dans des cas définis et rares; ils en étaient surtout les gardiens, les dépositaires. La nation exerçait ce droit elle-même: le chef de famille, la commune, les tribunaux improvisés entre citoyens, la noblesse territoriale; représentaient autant de juridictions, qui dispensaient ordinairement d'avoir recours au tribunal suprême des Atsés, et, quoique vaincue, après une lutte contre eux, plusieurs fois séculaire, pour la conservation de ce droit, la nation n'a jamais perdu complètement l'habitude de l'exercer. Les Polémarques, qui avaient tout fait pour accaparer ce droit au bénéfice des Empereurs, eussent voulu le garder pour eux-mêmes, lorsque l'Empire tomba; mais, à cause de la nature précaire de leur autorité, ils n'osèrent pas affronter en ce point jusqu'au bout le sentiment intime de leurs sujets; les circonstances leur vinrent bientôt en aide.
    Les communes reprirent leur juridiction primitive; mais lorsque des conflits s'élevèrent entre elles, comme il ne se trouvait plus aucun pouvoir judiciaire intermédiaire entre elles et le pouvoir central représenté désormais par les Dedjazmatchs, ou autres Polémarques, héritiers de fait, et chacun dans ses États, du pouvoir impérial, elles comprirent alors la

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