Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
Gojam et le Wora-Himano, se combattaient pour la prépotence, entraînant les autres provinces dans des alliances temporaires, dictées par les intérêts du moment, seul, le Chawa, avec ses annexes, séparé du reste de l'Éthiopie chrétienne par les Ilmormas du Wallo, vivait en paix. Le Polémarque de cette province portait le titre de Maridazmatch. Le dernier qui en avait été régulièrement investi, s'en étant déclaré roi, dès la chute de l'Empire, avait pu léguer le pouvoir à sa famille; et, pour empêcher ses héritiers d'allumer la guerre civile par leurs rivalités, à l'exemple des Empereurs, il avait fait adopter l'usage de tenir en captivité perpétuelle tous les parents mâles du prince régnant. Mais quoique le Chawa fût la seule portion de l'ancien Empire, où l'autorité eût une base un peu stable, les espérances nationales se concentraient ailleurs.
Les derniers Atsés avaient pris l'habitude de donner en apanage au Ras bitwodded ou Grand Connétable, la province du Bégamdir et ses dépendances, comprenant tout le pays borné au Nord par la chaîne de collines où est situé le col de Farka, à l'Ouest par le lac Tsana, au Sud par l'Abbaïe et son grand affluent le Bechelo, et à l'Est par le Takkazé. Sa position centrale, ses avantages au point de vue stratégique, le caractère belliqueux de sa population nombreuse, son voisinage de Gondar et le précédent établi en faveur de sa suprématie, contribuèrent à faire de cette province comme la capitale politique de la nation et le point de mire de toutes les ambitions. Aussi fut-elle conquise successivement par les Polémarques du Tegraïe, du Gojam, du Wora-Himano et de l'Idjou; le vainqueur se faisait nommer Ras bitwodded par le titulaire de l'Empire, qui croupissait dans le palais démantelé de Gondar, ou bien, plaçant quelque nouvel agnat sur ce trône dérisoire, il s'inclinait devant sa propre créature et se relevait Grand Connétable.
Vers la fin du siècle dernier, le chef d'une famille musulmane de l'Idjou, nommé Gouangoul, Ilmorma d'origine, s'empara de l'autorité dans sa province; son fils Guelmo lui succéda, puis Ali, surnommé Tallag (le Grand). Celui-ci soumit les provinces de Tohelederi, Dawont, Kallou et Delanta, voisines de l'Idjou; il marcha contre le Bégamdir et le conquit en une seule bataille, sur une armée cinq ou six fois plus nombreuse que la sienne. Dédaignant de se faire nommer Ras, il s'intitula Imam; en conséquence, il voulut imposer l'Islamisme à ses sujets du Bégamdir, mais cette tentative faillit le perdre; il y renonça; et après quelques années de règne, qu'il passa toujours à cheval, guerroyant contre ses rivaux, il mourut, recommandant à sa famille de respecter la foi de son peuple. Cette famille fut refoulée en Idjou où elle maintint son indépendance pendant quelques années, sans pouvoir ressaisir le Bégamdir d'une façon durable; un accident de la fortune le rendit à Gouksa, troisième successeur d'Ali-le-Grand. Pour se faire mieux agréer de ses sujets, Gouksa adopta le christianisme, mais resta, dit-on, musulman par ses sympathies. Prudent, cauteleux, rancunier, économe, habile à dissimuler et à contenir ses ennemis les uns par les autres, il dut, quoique peu guerrier, faire très-souvent la guerre, et, grâce à son habileté à choisir ses lieutenants, elle tourna constamment à son avantage. Son règne d'une trentaine d'années fut regardé comme un règne de paix, de sécurité et d'ordre relatif.
Dès le début des guerres civiles, la noblesse et les paysans avaient uni leurs intérêts; le clergé leur était acquis, et les communes s'étaient réveillées de leur léthargie; la noblesse combattit pour elles, et les paysans soutinrent leurs seigneurs, lorsque ceux-ci opposaient quelque résistance aux volontés des Dedjazmatchs. La féodalité reprit de la force de l'union sincère de ses deux éléments essentiels.
Afin de mieux réduire ses sujets, Gouksa s'appliqua, comme les Empereurs, à désunir les paysans et les nobles; mais il s'y prit en sens inverse. Les Empereurs avaient rendu la noblesse insolente en favorisant son luxe et ses empiétements sur les communes; à l'exemple d'Ali-le-Grand, Gouksa affecta au contraire une simplicité égalitaire et une rusticité de mœurs, qui flattaient le peuple et provoquaient les dédains de la noblesse. Au lieu d'employer les sommes provenant des impôts à augmenter le luxe de sa cour, il les entassait dans ses
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