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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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publique, s'en retournaient à leurs déserts, laissant derrière eux une trace bienfaisante.
    On ne peut s'empêcher de reconnaître chez ces religieux, séparés de l'unité chrétienne par le fait plutôt que par la volonté, une piété et des vertus incontestables; leur détachement, leur dénûment de tout ce qui excite les convoitises des hommes, leur donnent un ascendant, accru souvent du souvenir de leur vie passée. On trouve parmi eux beaucoup d'hommes appartenant aux premières familles, d'anciens notables, des soldats ou des chefs célèbres, qui, à la suite de quelque grand chagrin ou d'un retour subit sur eux-mêmes, ont quitté famille, dignités, rang, fortune et jusqu'à leur nom, pour prendre l'habit religieux et aller vivre d'austérités dans les cavernes ou les hernes les plus sauvages. Quelques-uns s'entourent, pour disparaître, de précautions telles que leurs meilleurs amis perdent leur trace, jusqu'au jour où ceux-ci, frappés par quelque infortune, un chevrier, un pâtre ou quelque paysan leur apporte de la part d'un moine inconnu des encouragements et des conseils trahissant une vieille intimité. Quelquefois une catastrophe publique leur fournira l'occasion de reconnaître, parmi des religieux accourus au secours de quelque principe social, celui dont ils regrettent la perte depuis des années. Ces ermites se présentent quelquefois dans les camps, où, la veille encore, les trouvères chantaient leurs exploits militaires, leurs actes de folle générosité, et l'on comprend avec quelle émotion leurs anciens compagnons d'armes ou leurs anciens adversaires les revoient, dépouillés de tout l'appareil qui faisait leur recherche et leur orgueil, et leur entendent dire: «Ô frères, qui êtes encore dans le rêve dont nous sommes sortis, nous vous en supplions, ouvrez un instant les yeux et considérez ce qui nous amène.»
    Bien avant la chute de l'Empire, le clergé séculier, par la double raison de son origine presque exclusivement plébéienne, et de cet esprit de véritable liberté qu'inspire le christianisme, se prononça énergiquement en faveur des communes, qui, grâce aussi au concours que leur demandaient les chefs de guerre, reprirent dans plusieurs provinces l'usage de leurs libertés. De plus, par son enseignement de l'histoire, du droit écrit, de la grammaire, de l'éloquence et de la théologie, le clergé maintint une morale chrétienne, les vertus civiques qui en découlent, la pureté de la langue, les traditions et l'esprit national.
    On a vu qu'à l'exemple du Bas-Empire, et encouragé par quelques Empereurs, le clergé s'était adonné aux subtilités théologiques; il n'avait pas tardé à se diviser; l'ignorance s'était accrue et le peuple éthiopien, doué d'un instinct religieux vivace, s'était partagé en trois sectes principales, sur les rivalités desquelles s'étaient entées plus tard les rivalités politiques. C'est ainsi que le clergé a attisé les guerres civiles, ébranlé dans l'esprit du peuple le respect de son enseignement, et qu'en portant atteinte à son propre prestige par les irrégularités de sa conduite, suite immanquable de son indiscipline et du désordre des pouvoirs sociaux, il s'est privé de la force nécessaire pour empêcher qu'il ne s'introduisît dans les mœurs certaines tolérances contraires à la moralité de la famille, qui défigurent aujourd'hui la physionomie chrétienne de ce peuple. Mais une réunion d'hommes ne commande pas longtemps les vertus, sans les pratiquer elle-même. Le clergé aurait sans doute perdu tout prestige comme l'Empire, s'il n'eût produit une succession d'hommes d'élite, défenseurs sincères du bien, représentants des plus hautes vertus cléricales et civiles, qui lui ont maintenu jusqu'aujourd'hui une certaine autorité, la seule qui ait survécu aux désastres, et autour de laquelle se groupent encore les éléments de la vie sociale. C'est lui qui recueille dans ses maisons, et sous le porche de ses églises, les malades, les infirmes et les blessés; qui amène les réconciliations et préside aux traités de paix; qui se montre presque partout le champion de l'opprimé et fait entendre aux puissants des avertissements salutaires. Il prodigue, il est vrai, les excommunications, au point d'en atténuer l'effet, mais il ne cesse du moins d'entretenir le culte du droit, de la justice et de la morale, et de sonner le tocsin en leur nom.
    Pendant que le Tegraïe, le Bégamdir, l'Idjou, le

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