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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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demi couché et accoudé sur un coussin écarlate, causait avec le Lik, assis à la turque, sur un tapis semblable. Deux gentils pages de quatorze à quinze ans, un pli de la toge sur la bouche et un chasse-mouche à la main, se tenaient debout, attentifs aux mouvements de leur maître; un pieu garni de crochets, et planté derrière lui, supportait son bouclier couvert de plaques en vermeil et décoré verticalement d'une large bande de la crinière d'un lion, ainsi que son sabre, sa javeline, son brassard d'or et sa corne à boire; à un autre pieu étaient suspendus un porte-missel en bois finement sculpté, et deux étuis contenant les Psaumes et les Évangiles, livres d'heures ordinaires des Éthiopiens. Les reflets bleus de la tente transpercée de soleil, la verdure du sol, la blancheur des tapis et de la toge du Prince, l'éclat de ses armes, son grand air, les regards discrets et curieux de part et d'autre, le Lik, avec son volumineux turban, la tête baissée, comme pour attendre l'impression que je produirais sur son hôte, tout formait un ensemble imposant, gracieux, plein de fraîcheur et de poésie épique.
    Le Prince me donna le salut et me fit signe de m'asseoir à côté du Lik. On introduisit mon drogman.
    —Sois le bienvenu chez moi, me dit le Dedjazmatch. On assure que les hommes de vos pays sont curieux de visiter les contrées étrangères; mais quelle que soit votre curiosité, elle ne saurait surpasser celle que nous éprouvons en voyant chez nous pour la première fois un enfant de cette Jérusalem, où Notre-Seigneur Jésus-Christ a touché terre. Aussi, tu excuseras l'impatiente curiosité de mes soldats, qui n'a rien de malveillant pour toi. Lorsque ce printemps, tu nous as refusé de venir en Gojam, ton refus nous eût été pénible, si nous t'eussions connu comme aujourd'hui; c'est donc avec plaisir que nous t'accueillons, rendant grâces à Dieu d'avoir changé le cours de tes projets.
    Je crus devoir expliquer au Prince ce qui m'avait empêché de me rendre à sa première invitation.
    —Notre ami, le Lik Atskou, nous a appris qu'effectivement tu es préoccupé du départ de la caravane pour l'Innarya.
    Il se fit ensuite un silence de plusieurs minutes, un de ces silences durant lesquels il semble que les sympathies ou les répugnances éclosent, se mesurent et s'échangent.
    Le Prince fit mander les deux principaux dignitaires de son armée, et nous passâmes dans la grande tente, où il s'installa sur un alga élevé recouvert d'un tapis turc.
    Le Dedjadj Guoscho, âgé d'environ cinquante ans, était grand et de belle prestance, gros sans obésité; mais la partie inférieure de son corps paraissait grêle par rapport à son buste puissant. Il avait les attaches fines et la main d'une élégance féminine, le teint brun cuivré, la tête volumineuse, gracieusement posée sur un cou long et d'une beauté de contour rare chez un homme, le front large, haut et bombé, les tempes délicatement dessinées, le nez petit, aux ailes mobiles, et de grands yeux à fleur de tête. Un léger duvet ombrait sa lèvre supérieure; ses dents étaient petites, nacrées, et son menton court, fin, à fossette; ses joues plates, larges, dénuées de barbe.
    Son port de tête et ses moindres mouvements étaient doucement dominateurs; son regard réservé laissait deviner une certaine complaisance pour lui-même. Quoique sa physionomie intelligente fût voilée de cette impassibilité qui convient à l'exercice d'un haut pouvoir, on y découvrait une grande bonté, timide plutôt qu'active, de la finesse, de l'enjouement, un manque de décision joint à l'entêtement, l'esprit d'aventures, l'intrépidité et ce doute mélancolique qui gagne souvent ceux qui ont la responsabilité des événements et des hommes.
    Sa toge, drapée avec soin, laissait entrevoir trois longs colliers composés de périaptes ou talismans recouverts en maroquin rouge ou en vermeil, entremêlés de grains de corail, d'ambre ou de verroterie rare. Il portait au petit doigt une bague en or, formée de trois anneaux engagés les uns dans les autres, et ornés chacun d'une émeraude; ce bijou antique, admirablement ouvragé, provenait de l'Inde. Une longue épingle d'or, terminée par une boule en filigrane, était passée dans sa chevelure noire, touffue, ondoyante et ramenée en corymbe; en sa qualité de Waïzoro, il portait aux chevilles des périscélides composés de petits cônes d'or enfilés.
    Il ne fut pas plutôt

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