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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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disciples l'accompagnèrent jusqu'à Moussawa. Là, au bord de la grande mer, ils lui dirent:
    —Nous voulons aller avec toi, ô notre Père; et qu'importe que ton navire ne puisse nous contenir tous! Saint Tekla-Haïmanote n'a-t-il pas étendu sa melote sur les eaux, et navigué ainsi jusqu'à Jérusalem? Nous avons foi en Dieu et en ses miracles; prie-le pour nous, et il commandera à la mer de nous porter tout autour de ton navire.
    Le Moallim se prosterna la face sur le sable, versa des larmes, resta longtemps en extase, et s'étant relevé, il dit à ses disciples:
    —Non, cela ne doit pas être; je vous laisse ici; sans vous, les sillons se refermeraient.
    Puis, il ouvrit les mains vers le ciel en disant:
    —Ô Dieu, si j'ai enseigné la vérité, rends manifeste l'injustice de mes persécuteurs; si ma bouche a propagé le mensonge ou l'erreur, que cette mer se referme sur moi, que je sois dévoré par les monstres des abîmes!
    Il monta seul sur le navire, salua une dernière fois ses disciples et leur jeta cette parole:
    —Mes frères, quel fut l'effet de l'onction que Notre-Seigneur reçut dans les eaux du Jourdain? Méditez-là-dessus.
    Et le navire s'éloigna. C'est à Dieu de savoir, ajoutent les Éthiopiens, si nos pères furent blâmables d'expulser ce savant théologien: toujours est-il qu'il nous a jeté en s'éloignant cette redoutable question d'où sont sortis le doute, la zizanie et les controverses sans issue, qui nous divisent encore aujourd'hui 10 .
Note 10: (retour) Cette question est célèbre en Éthiopie, non-seulement parmi les ecclésiastiques de tous les ordres, mais encore parmi les laïques, et les diverses solutions qu'on lui a données ont dessiné autant de sectes, ou pour mieux dire, autant de partis, qui s'entrehaïssent. Dans la plus grande partie du Tegraïe, on croit que le Saint-Esprit s'unit et se confondit avec l'humanité de Notre-Seigneur, le mot Towahadeh , qui est ici sacramentel, comporte ces deux significations, et la croyance religieuse du Tegraïe est appelée: Towahadou . Le vulgaire dit aussi Karra , mot qui signifie couteau, parce que les hommes du Tegraïe font souvent une fente au côté externe du fourreau de leur sabre pour y engaîner un petit couteau, ce qui fait que ces deux instruments semblent n'en former qu'un seul. Le Hamacen, le Gojam et quelques autres provinces éparpillées établissent une distinction un peu subtile pour nos idées européennes, en disant qu'au contraire Notre-Seigneur ne fit que recevoir l'onction ( tekubba ) du Saint-Esprit, d'où ceux-ci sont tous appelés Kenbat . Enfin, dans le Dembéa, le Chawa, et même dans quelques couvents du Tegraïe, on enseigne qu'en recevant le Saint-Esprit sous la forme de la colombe, le Fils de Marie naquit dans le Saint-Esprit, et comme il était né deux fois, c'est-à-dire du Père dans l'Éternité et de la Sainte-Vierge dans le Temps, on arrive logiquement à la conclusion que Notre-Seigneur est né trois fois; ces derniers sectaires sont donc appelés: Sost ludet , c'est-à-dire: trois naissances; et selon un théologien d'Europe, leurs paroles, si bizarres au premier aspect, ont été d'abord inventées et sont encore aujourd'hui très-souvent employées pour voiler aux yeux de leurs compatriotes le fond de leur religion, qui serait identique avec celle de Rome. Ces trois interprétations ont enfanté des sous-sectes dont le nombre s'élève à près d'une trentaine. Ceux qui se rappellent l'histoire du Bas-Empire et les discussions subtiles qui passionnaient les Grecs de cette époque, comprendront l'acrimonie des discussions analogues en Éthiopie. Beaucoup d'Éthiopiens font par humilité leurs prières à la porte de l'église, dont ils baisent ensuite le seuil, pour témoigner de leur foi respectueuse. On raconte que dans le Tegraïe un passant s'éloignait après s'être conformé à ce pieux usage, quand le curé lui demanda par précaution à quelle foi il appartenait.—Je suis Kenbat , dit l'étranger.—Vil hérétique, reprit le curé, tu as profané mon église!—Et s'armant d'une hache, il enleva soigneusement toute la partie du bois qu'il croyait contaminée par les lèvres du passant.
    À notre rentrée à Gondar, chacun nous interrogea relativement au Dedjadj Guoscho. Le bruit courait que le Ras s'était emparé traîtreusement de sa personne, au moment où il se présentait à Dabra Tabor. Deux jours plus tard on assurait au contraire que le Dedjadj Guoscho, parti

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