Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
visage à tous ces envoyés, qu'il congédiait avec de vagues assurances. Un jour que nous avions reçu une cinquantaine de chevaux et beaucoup de denrées, je lui fis observer qu'à ce compte, nous n'aurions bientôt plus d'ennemis contre qui faire campagne.
—Malgré leur air rustique, me dit-il, ces Gallas sont plus fins que tu ne crois: ils n'aspirent qu'à nous déposséder même du Gojam; mais heureusement des rivalités souvent sanglantes les occupent chez eux. Afin de découvrir mes projets, plusieurs de ces envoyés me proposent de m'aider à ravager les districts voisins des leurs, et une fois chez eux, tous se ligueront contre nous.
Le Dedjadj Guoscho était le seul prince chrétien, qui, depuis la chute de l'Empire, ait su prendre quelque ascendant sur les Gallas établis au Sud de l'Abbaïe. C'est, comme on l'a vu déjà, à l'époque de la décadence de l'Empire, que le peuple Galla ou plutôt Ilmorma signale pour la première fois son existence, en pénétrant par les frontières Est et Sud de l'Éthiopie chrétienne. Sa marche est bientôt arrêtée au Nord et Nord-Est, par les obstacles que présentent le Béchelo et l'Abbaïe à l'extrémité de la presqu'île du Gojam; contournant ce dernier obstacle, il envahit tout le grand Damote, vaste province de l'Empire située au Sud et Sud-Est de l'Abbaïe et comprenant jusqu'à l'Innarya. Mais en s'établissant sur ces riches territoires, ces conquérants se sont fractionnés en petites républiques patriarcales. Leur élan général de conquête s'est ainsi perdu, et leur énergie s'est consumée depuis lors en guerres intestines, dans les intervalles desquelles, comme par un retour aux idées de conquête de leurs pères, ils n'ont cessé de traverser l'Abbaïe en petites troupes, pour tuer, incendier, piller et fuir avec leur butin. Les communes des frontières chrétiennes ont répondu à ces incursions par des incursions analogues, mais le plus souvent elles ont eu le dessous, parce qu'elles ne jouissaient pas d'autant d'initiative politique que les communes Gallas, et que d'ailleurs elles se trouvaient dans l'obligation d'envoyer leurs hommes auprès de leurs seigneurs engagés dans les guerres civiles qui désolaient l'Empire. Cet état de choses amena une dépopulation rapide en Damote et en Gojam. Les Polémarques de ces provinces marchèrent quelquefois contre les Gallas à la tête de leurs armées, mais les résultats furent d'accroître plutôt que d'amoindrir l'ascendant de leurs ennemis. Pour remédier à ces maux, les derniers Empereurs attirèrent, par des concessions territoriales et des franchises commerciales, un nombre considérable de colons gallas; des districts entiers furent ainsi repeuplés, entre autres, celui du Metcha qui était, dit-on, presque désert. Tous ces colons embrassèrent le christianisme, et s'identifièrent tellement aux intérêts de leur patrie adoptive, qu'ils reprirent avec acharnement, contre les Gallas la guerre de frontières. Quelques-uns entretinrent néanmoins, de loin en loin, des relations avec leurs anciens compatriotes, ou prirent leurs filles en mariage. Parmi les familles qui conservèrent ainsi leurs traditions originelles, on comptait celle de Zaoudé, originaire des Gallas Amourous et établie dans le Damote.
Ce Zaoudé, qui avait acquis une grande réputation de bravoure dans les guerres de frontières, se rebella contre le Dedjazmatch du Damote, à l'occasion de quelque déni de justice. Il attira autour de lui, par ses largesses, les déserteurs, les insoumis, les mécontents de toute espèce, et ayant battu les troupes envoyées contre lui par le Dedjazmatch, il finit par le vaincre lui-même en bataille rangée. Le Ras Gouksa, originaire, comme on sait, des Gallas de l'Idjou, s'efforçait alors de restaurer à son profit l'omnipotence impériale; et quoique le Dedjazmatch du Damote fût son vassal, il trouva opportun de reconnaître Zaoudé, mais avec le dessein de le déposséder à la première bonne occasion. Le Dedjadj Zaoudé épousa la Waïzoro Dinnkénech, princesse de la famille impériale, et de ce mariage était né Guoscho. Gouksa ne tarda pas à disposer du Damote en faveur d'un de ses lieutenants, et à l'envoyer, à la tête d'une armée, prendre possession de son investiture. Zaoudé battit ce nouvel adversaire, et, après quelques années durant lesquelles il vainquit plusieurs prétendants envoyés contre lui de la même façon, il s'allia avec le Ras Walde Sillacé,
Weitere Kostenlose Bücher