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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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suspendait un moment sa marche. Nous étions en automne: pas le moindre nuage au ciel; une chaleur douce et des brises agréables. Les moissons avaient été d'une abondance exceptionnelle; les paysans paraissaient satisfaits. D'innombrables troupeaux jonchaient paisiblement les vastes prairies qu'animaient des volées d'ibis et des escouades de grues; les bergers demi-nus, leur long bâton et leur flûte à la main, souriaient avec sécurité en nous voyant; jusqu'à des compagnies de gazelles et d'antilopes qui s'enfuyaient un peu, puis s'arrêtaient pour regarder passer; et pour que rien ne manquât à la marche triomphale du Dedjazmatch au milieu de cette explosion spontanée de l'affection de ses compatriotes, comme cet admoniteur qui marchait à côté du triomphateur à Rome, pour lui rappeler qu'il n'était qu'un homme, quelque paysan, posté de loin en loin, faisait entendre le cri perçant, à la fois suppliant et impérieux, usité par ceux qui réclament justice.
    Le Prince s'arrêtait, et, s'il y avait lieu, donnait au plaignant un soldat chargé de faire redresser le grief; puis il reprenait son chemin aux cris de joie et aux bénédictions verbeuses de son vassal consolé.
    Des troupes de cavaliers ou de fantassins se joignaient à nous le long de la route, et notre camp grossissait d'étape en étape. Beaucoup de petits chefs nous attendaient sur le chemin avec leurs soldats, afin que le Prince pût juger par ses yeux du nombre de vassaux qu'ils lui amenaient. Les seigneurs de marque rejoignaient, suivis seulement d'une faible escorte, et leurs troupes s'évertuaient à former un campement, le plus grand possible; on rapportait au Dedjazmatch que depuis l'arrivée de tel ou tel, l'armée s'étendait à perte de vue. Parfois, la nuit, les hyènes faisaient tout à coup silence; le sol résonnait sourdement, et l'on entendait dans le lointain un chœur militaire qui grandissait en se rapprochant: c'était encore quelque bande qui venait rejoindre. Le brillant Ymer-Sahalou nous arriva un matin à la tête d'environ huit cents cavaliers; nous venions de nous mettre en route; il devançait ses hommes de pied et ses bagages. Le lendemain, pendant la marche également, nous vîmes une troupe d'environ douze cents lances venir rapidement vers nous; elle s'ouvrit des deux côtés de notre chemin, et le Blata-Filfilo, à la tête d'une quarantaine de cavaliers aux boucliers étincelants, s'avança au galop. Il montait sans jactance un magnifique et fougueux cheval noir; une pèlerine de guerre remplaçait sa toge, et, en signe d'allégeance, il portait au bras son bouclier rutilant de vermeil. À vingt pas du Prince, il mit prestement pied à terre et s'inclina, ses hommes restant derrière et en selle. Par déférence pour le rang et l'âge de ce vassal, le Dedjazmatch arrêta sa mule et dit selon l'usage:
    —Par Notre Dame! que mon frère se remette en selle.
    Vingt voix firent écho, et un suivant jeta une toge sur les épaules du Blata Filfilo, qui enfourcha sa mule et chemina à côté du Prince.
    Parfois, nous restions quelques jours au même endroit. Toute apparence de mystère cessa enfin: un ban invita les volontaires, tant étrangers que sujets, soldats ou paysans, à venir concourir à une expédition contre les Gallas, et des auxiliaires, la plupart paysans du Gojam, affluèrent, malgré la saison avancée qui faisait appréhender que la crue prochaine de l'Abbaïe ne rendît notre retour périlleux. De leur côté, les Gallas, instruits de nos projets, se préparaient à la résistance. Afin de leur donner le change sur le point où nous traverserions l'Abbaïe, l'armée exécuta plusieurs mouvements contraires, tantôt dans la direction du Gouderou, tantôt dans celle du Liben; ensuite, revenant sur nos pas, nous campâmes en face du Horro, puis dans le centre du Gojam. Là, le bruit se répandit que notre campagne contre les Gallas n'était que simulée; que par suite d'une mésintelligence entre le Dedjadj Guoscho et le Ras Ali, nous allions être obligés de défendre nos frontières du côté du Bégamdir. Quelques districts gallas ajoutèrent foi à cette nouvelle; d'autres demandèrent des sauf-conduits, et députèrent auprès du Dedjazmatch, pour lui offrir leur soumission, lui promettre des tributs et se le concilier par des présents consistant en chevaux, bétail, grains d'or, toges grossières, et quantité de miel et de beurre. Le Prince recevait de toutes mains et faisait même

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