Douze
coup avec la crosse de son mousquet. Iouda grimaça au moment approprié, se joignant au simulacre afin de s’en moquer. Il leva momentanément le regard vers le visage du garde, puis évita ses yeux.
— Était-il armé ? demandai-je.
— Juste ceci. (Le garde fouilla dans son sac à dos et me tendit le couteau à double lame que j’avais précédemment vu entre les mains de Iouda.) C’est une drôle de chose, n’est-ce pas, capitaine ? Je ne peux pas en voir l’utilité.
— C’est l’une des choses que j’ai l’intention de découvrir.
— Voulez-vous que nous restions à proximité, capitaine ? demanda-t-il.
Il était rafraîchissant d’être de nouveau parmi des hommes dignes de confiance et loyaux à ce point, même si sa suggestion avait aussi pu être motivée par un intérêt personnel. Rester près de nous signifiait aussi rester près du feu. Les deux gardes semblaient pâles et avoir mortellement froid, leurs houppelandes soigneusement boutonnées jusqu’au menton pour conserver toute la chaleur possible. Mais mes propres préoccupations surpassaient ma sympathie pour eux.
— Pas trop près, dis-je. Pour des raisons que vous comprendrez, il vaut mieux que vous n’entendiez pas ce dont nous allons discuter. (Il acquiesça d’un air sérieux. Je ne doutais pas qu’il se tiendrait juste hors de portée de voix, mais, par sécurité, je m’adresserais à Iouda en français.) Mais s’il devient mauvais, j’aurai besoin que vous soyez prêts : dans votre propre intérêt autant que dans le mien.
Partout autour de nous, le camp était en effervescence. Les tentes étaient en cours de démontage. Les chevaux étaient harnachés aux canons. Les bagages étaient chargés sur des chariots. L’activité de tous était suffisante pour les maintenir au chaud malgré l’air glacé de la nuit mais, pour Iouda et pour moi-même, ainsi que pour les deux gardes qui se tenaient, séparés, tous les deux à quelque distance de nous, le feu était la seule source de chaleur.
Je m’assis face à Iouda, tandis que ses gardes s’écartaient avec prudence. Je réfléchissais à la façon de commencer, espérant qu’il allait peut-être dire quelque chose, mais il resta silencieux, contemplant le sol. Malgré sa situation, il avait toujours sur le visage un air de triomphe. Puis je compris pourquoi. Pour autant qu’il le sache, son piège avec Margarita avait fonctionné : j’avais cru que Domnikiia était un vampire et je l’avais tuée.
—N’allez-vous pas me dire que Domnikiia n’a jamais été un vampire ? lui demandai-je.
Il fronça brièvement les sourcils. Le nom ne lui était pas familier. Puis il fit le lien avec Dominique.
— Il semble que vous en soyez déjà conscient, répondit-il.
— Elle est vivante et elle va bien, vous savez.
— Je n’en doute pas, dit-il, impassible.
— Oh, allons, Iouda. Vous êtes fier, mais vous pouvez être honnête, maintenant. Ce sont vos derniers instants sur terre : ne les gâchez pas. Je sais que vous m’aviez destiné votre mise en scène avec Margarita.
— Je ne vais pas les gâcher, Liocha. Vous non plus ne le devriez pas. Vous avez raison, toutefois, je savais que vous regardiez à travers cette fenêtre.
— Et vous vous attendiez à ce que j’entre directement dans la chambre et que je plante un pieu droit dans le cœur de Domnikiia, et que je le regrette ensuite pour le restant de mes jours.
— Jouez-vous aux échecs, Liocha ? demanda-t-il.
— Parfois, répondis-je.
— Lorsque vous établissez un plan d’attaque – de même, lorsque vous planifiez une attaque dans une véritable bataille –, la voyez-vous se dérouler dans votre esprit vers un objectif unique, ou votre plan se ramifie-t-il avec les différentes hypothèses quant à la façon dont votre adversaire pourrait réagir ?
— Il se ramifie, bien sûr ; bien que je considérerais toujours plus probable que mon adversaire joue le meilleur coup.
Je fus surpris de la vitesse à laquelle Iouda avait réussi à prendre les rênes de la conversation.
— Exactement. Et c’est décevant, n’est-ce pas, lorsqu’il ne fait pas le meilleur choix, lorsqu’il tombe dans un piège banal que vous avez placé sur son chemin, pas véritablement dans l’intention de le piéger, mais simplement pour le forcer à suivre la voie que vous avez choisie ? À la fin, il ne vous prive pas de votre victoire, mais il vous gruge du plaisir de démontrer le génie de votre
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