Douze
grand scientifique l’expliquera. De mon côté, je soupçonne que cela est lié à la méthode de reproduction.
Je le regardai avec des yeux vides. Il ne comprenait toujours pas que c’étaient les dernières minutes de sa vie. Je ramassai son couteau, que j’avais plongé dans la neige entre mes pieds, et l’étudiai. Il était d’une faction simple, exactement comme je l’avais imaginé lorsque je l’avais vu pour la première fois. Deux couteaux courts, identiques, dont les manches avaient été attachés ensemble par un long ruban de cuir. Le lien était très serré : je ne pouvais pas faire glisser les lames l’une contre l’autre. Quelque chose devait les fixer plus solidement sous le cuir. Les lames étaient finement aiguisées d’un côté, dentelées de l’autre – les dents pointées légèrement en arrière, vers le manche – idéal pour écorcher la carcasse d’un animal d’une seule lame. Chacune se terminait par une pointe acérée qui pouvait être utilisée pour poignarder. L’écart entre les deux lames était suffisamment large pour que je puisse y glisser facilement deux doigts.
— Vous n’avez pas tous le même, n’est-ce pas ? demandai-je à Iouda.
— Non, juste moi.
— Pourquoi en avez-vous besoin ? Vos dents sont abîmées ? Trop de sucre dans votre alimentation ?
Il eut un rictus, pas un vrai sourire, et je réalisai que je ne pouvais pas me rappeler avoir jamais vu ses dents lorsqu’il souriait. Peut-être avais-je raison. Peut-être était-il la plus pitoyable des créatures, un vampire aux dents cariées.
— Pas tout à fait, dit-il.
— Utile, je suppose, pour vous ouvrir la poitrine lorsque vous engendrez l’un des vôtres.
— Pour cela, oui, et à d’autres moments.
Il était plus réticent à ce sujet qu’il ne l’avait été pour d’autres. Une autre question me vint à l’esprit, et l’image de ma propre main plongeant un pieu dans la poitrine d’une jeune femme.
— Avais-je besoin de tuer Margarita ? demandai-je. Était-elle morte lorsque nous l’avons trouvée, ou l’aviez vous… transformée ?
— Elle était morte, dit-il calmement, ses yeux fixant les miens. Je l’ai tuée.
— Mais pourquoi ? Pourquoi perdre une chance de la transformer en vampire ?
— Je l’ai tuée parce que j’aime cela. Mais quant à transformer quiconque en vampire, j’en suis malheureusement incapable.
— Et pourquoi cela ? Je suis sûr que vous devez dépasser de loin les autres dans votre capacité à persuader quelqu’un de franchir volontairement le pas.
Je n’aimais pas le complimenter mais, comme je l’avais découvert longtemps auparavant, il était l’unique Opritchnik à faire preuve d’une réelle personnalité.
— Certainement ; et c’est, pour moi, l’un des aspects les plus agréables. Le problème est, toutefois, d’ordre physique.
— Que voulez-vous dire ?
— Comme nous en avons déjà discuté, je ne suis pas médecin. Je ne peux pas expliquer comment ces choses fonctionnent. Je peux accomplir tous les gestes, mais cela ne se produit tout simplement pas, pas plus que cela n’arriverait si vous tentiez de le faire.
— Sauf que je ne souhaiterais même pas le tenter, ajoutai-je avec véhémence.
— C’est peut-être la différence entre nous, sourit-il.
— Ainsi donc, en fin de compte, malgré ce que vous avez tous les deux fait, malgré sa volonté, Margarita n’est pas devenue un vampire. Lorsque vous l’avez tuée, elle est décédée en tant que mortelle.
Il acquiesça pensivement, puis se tourna vers moi avec un regard attentif, pinçant sa lèvre inférieure entre ses doigts, indifférent à la gêne que causaient ses mains liées. Cela me rappela son évocation des échecs. Il avait joué un coup, et tentait maintenant de déterminer si son adversaire – moi – en avait vu toutes les ramifications.
— Que faisiez-vous quand vous avez été capturé ? demandai-je.
— J’espionnais pour le compte des Français.
— Vraiment ? ris-je.
— Oui. Je dois quitter la Russie. Ils quittent la Russie, ou du moins ils essaient. Je peux les aider tant que nos intérêts coïncident.
—Cela ne peut pas leur être d’une grande aide, pas plus qu’à vous, si vous êtes capturé. Je présume que cela ne faisait pas partie du plan.
— Non, vous avez raison, ce n’était pas le plan. Pas avant que je vous voie par hasard en train de trotter sur la route en direction du camp. Alors j’ai su que je devais
Weitere Kostenlose Bücher