Douze
vous revoir une dernière fois.
Ainsi – à supposer qu’il disait la vérité – il ne m’avait pas suivi. Ç’avait tout simplement été par chance que nous nous étions retrouvés, même si c’était une chance dont nous avions tous les deux tenté de forcer le cours. Le fait qu’il ne m’avait pas suivi rendit d’autant plus probable qu’il n’était pas encore au courant de la mort de Foma. Je fus alors certain qu’il n’avait aucune échappatoire.
— Une dernière fois avant que vous mouriez, ajoutai-je.
— Une dernière fois avant que je quitte votre pays, rétorqua-t-il. Étant le dernier survivant de notre groupe, je considère que c’est mon devoir.
— Le dernier survivant ?
— Eh bien, vous m’avez parlé de Piotr et Iakov Zevedaïinitch, et je présume que Dimitri a tué Foma à l’heure qu’il est.
J’acquiesçai.
— Foma est mort.
J’étais découragé, mais je devais le cacher. Si Foma ne faisait pas partie du plan de fuite de Iouda, alors qu’était-ce ? Je me rappelai la possibilité qu’il ait pu avoir un collaborateur humain. Si c’était le cas, et que celui-ci était russe, l’homme aurait alors rencontré peu de difficultés à infiltrer le camp. Était-ce sur cela que reposait la confiance de Iouda, ou était-ce du simple bluff ? Il jeta un coup d’œil aux deux gardes, à quelques pas de chaque côté de lui, comme s’il évaluait quelle distance il pourrait parcourir avant qu’ils l’attrapent.
— Dimitri Fétioukovitch s’est révélé un homme étonnamment courageux, poursuivit Iouda. Tuer un vampire est une chose, mais en faire un prisonnier en est une autre.
— Vous avez vu ce qui s’est passé ?
— Oh ! oui.
— Et vous n’avez rien fait pour aider Foma ?
— Pourquoi l’aurais-je fait ? Cela ne valait pas la peine de risquer ma vie. Dimitri pensait que je viendrais sauver Foma, mais il n’a vraiment rien compris. Comme je vous l’ai dit, un vampire ne mettrait pas sa vie en danger pour sauver un autre vampire. Je présume donc que vous avez vu Dimitri. Est-il ici avec vous ?
— Non, il n’est pas ici, répondis-je. Dites-moi simplement, Iouda. Comment comptez-vous vous échapper ?
Il interpréta délibérément la question de façon erronée.
— Eh bien, pour autant que je comprenne, le déplacement de Napoléon vers le sud est une feinte. Tchitchagov s’est déjà lancé à sa poursuite sur l’autre rive de la Berezina, et Koutouzov va bientôt se diriger par là lui aussi.
Bien que ce ne soit pas ce que j’essayais de découvrir, c’était quand même une information vitale. Je suivis la voie sur laquelle Iouda s’était engagé.
— Alors que le véritable plan de Bonaparte est… ? demandai-je.
— Ah ! dit Iouda avec un sourire. Voyez comme l’interrogateur rusé piège sa proie pour qu’elle révèle tout ! (Il se pencha en avant et me fit un clin d’œil d’un air de conspiration.) Entre vous et moi, Liocha, il a trouvé un gué, en amont, à un endroit appelé Stoudienka. Il faudra quand même jeter un pont en travers, mais cela devrait leur permettre de traverser.
— Devrait lui permettre de traverser, répondis-je cyniquement.
— Que voulez-vous dire ?
— Il ne reste pas grand-chose de la Grande Armée comparée à lorsqu’elle est arrivée. Trente mille contre un demi-million ? Maintenant, il n’est question que de l’empereur, et plus de l’armée.
— Et pourquoi pas ? Napoléon est un grand homme.
— Vous trouvez ?
— Il me facilite grandement la vie.
— Alors Dimitri avait bien tort. Vous n’avez jamais été de notre côté, n’est-ce pas ? lui demandai-je, me sentant davantage exonéré que choqué par la constatation.
— Bien sûr que si. Si Napoléon avait vaincu la Russie, cela aurait conduit à l’hégémonie française sur la totalité de l’Europe. Et cela aurait signifié la paix ; une paix que vous et moi aurions méprisée pour des raisons différentes, mais néanmoins toutes deux contraires à nos modes de vie. Il est vrai qu’il y aurait toujours eu un conflit avec la Grande-Bretagne, mais je n’ai jamais été très utile en mer.
— Donc vous soutenez toujours simplement le plus faible ?
— J’aime contribuer à maintenir l’équilibre des pouvoirs.
— Donc, maintenant que la France est affaiblie, vous passez de son côté ?
— Exactement.
— Depuis combien de temps faites-vous cela ? demandai-je avec une curiosité sincère. Combien de fois
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