Du sang sur Rome
l’entrée,
échevelé et hors d’haleine.
— Lucius Sylla, murmura-t-il en inclinant la tête et en
détournant les yeux.
Après cette salutation officielle, il se tourna vers
Cicéron.
— Je suis désolé de mon intrusion. J’ai vu son escorte
dehors. Naturellement j’ai su qui était chez toi. J’aurais attendu si la
nouvelle… J’ai couru tout le long du chemin pour te l’apprendre, Cicéron.
— Continue, Rufus. Parle donc.
— Sextus Roscius… soupira Rufus.
— Eh bien ?
— Sextus Roscius est mort.
7
Tous les regards convergèrent vers Sylla, qui parut aussi
étonné que nous tous.
— Comment ?
— Il est tombé, s’exclama Rufus l’air consterné. Du
balcon à l’arrière de la maison de Cæcilia. Juste en dessous, il y a un à-pic.
Un escalier de pierre étroit serpente dans la colline. Apparemment il a heurté
les marches et déboulé sur une bonne distance. Son corps s’est complètement
disloqué.
La voix de Sylla résonna comme un coup de tonnerre.
— L’imbécile ! L’idiot ! S’il voulait
absolument mettre fin à ses jours…
— Il se serait suicidé ? interrompit calmement
Cicéron. Mais nous n’en avons aucune preuve.
Dans son regard je vis que nous avions les mêmes doutes. En
l’absence de garde sur le toit, quelqu’un aurait pu s’introduire chez Cæcilia,
un assassin envoyé par les Roscius, ou par Chrysogonus, ou par Sylla lui-même.
Le dictateur avait proposé une trêve, mais dans quelle mesure pouvait-on avoir
confiance en lui ou en ses amis ?
Toutefois l’indignation de Sylla semblait prouver son
innocence.
— Bien sûr que c’est un suicide, lança-t-il d’un ton
brusque. Un parricide qui peu à peu a perdu la raison ! Ainsi la justice
prévaut après tout. Mais, s’il était décidé à se punir lui-même, pourquoi
a-t-il attendu que le procès soit terminé ? Pourquoi ne s’est-il pas tué
hier, ou avant-hier ou le mois dernier ? Il nous aurait épargné bien des
ennuis. Il est acquitté et il se tue. C’est absurde, c’est ridicule.
Sylla se drapa dans sa toge et se dirigea vers la porte d’entrée,
la tête baissée comme la proue d’un navire prêt à éperonner. Cicéron et Rufus s’écartèrent,
je fis un pas en avant pour lui barrer le passage, inclinant la tête avec
respect.
— Lucius Sylla, noble Sylla, je suppose que cet
événement ne change pas les termes de l’accord que nous avons conclu ici, ce
soir ?
J’étais assez près de lui pour l’entendre retenir
brusquement sa respiration et ensuite sentir la chaleur de son souffle sur mon
front. Le temps qui s’écoula avant qu’il me réponde me parut une éternité.
— Rien n’est changé, dit-il d’un ton glacial, mais
résolu.
— Alors Cicéron et ses alliés n’ont pas à craindre la
vengeance des Roscius…
— Cela va sans dire.
— … et, bien qu’il soit mort, la famille de Sextus
Roscius sera dédommagée par Chrysogonus ?
Je détournai les yeux. Sylla fit attendre sa réponse.
— Bien sûr. Sa femme et ses filles ne manqueront de
rien, malgré son suicide.
— Tu es un homme juste et clément, Lucius Sylla.
Je le laissai passer. Il partit sans jeter un regard en
arrière, sans même attendre qu’un esclave lui montre le chemin. Quelques
instants plus tard, la porte s’ouvrit et se referma bruyamment, et soudain on
entendit dans la rue le brouhaha de son escorte qui s’éloignait. Puis le
silence retomba.
— Quelle ironie du sort ! s’exclama enfin Cicéron.
Tant d’efforts de part et d’autre et, en fin de compte, même Sylla est déçu. « A
qui le crime profite-t-il ? »
— A toi, entre autres, Cicéron, répondis-je.
Il me jeta un coup d’œil malicieux, sans pouvoir dissimuler
le sourire qui se dessinait sur ses lèvres. Rufus secoua la tête.
— Sextus Roscius se serait suicidé. Que voulait dire
exactement Sylla quand il a déclaré que justice avait été faite, que Roscius s’était
donné la mort ?
— Je ne vois aucune raison de croire que Roscius s’est
suicidé tant que je n’en verrai pas la preuve de mes propres yeux, dis-je.
Rufus haussa les épaules.
— Mais quelle autre explication donner ? À moins
que ce n’ait été un accident – le balcon est traître et Roscius avait
bu toute la soirée ; peut-être a-t-il trébuché. Par ailleurs, qui dans la
maison souhaitait sa mort ?
— Sans doute personne.
J’échangeai un bref clin d’œil avec Tiron. Ni
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