Eclose entre les lys
multiplie ; sinon comment Dieu ferait-Il pour aimer toutes Ses
créatures ? Il n’en resterait que bien petitement pour chacune, dit-elle
en lui répétant mot pour mot la réponse de son chapelain.
Comme le roi voulait se confier plus avant, elle
posa sa main sur sa bouche.
— Gardez le secret de votre cœur, seigneur
mon époux, il est si vaste que je ne puis y rester seule, et consens volontiers
à le partager.
— Ainsi, vous saviez…
Les larmes aux yeux, il la pressa contre lui avec
reconnaissance. Isabelle songea à sa passion pour Bois-Bourdon, et combien il
aurait été doux de pouvoir s’en confier, afin de vivre, elle aussi, sans
mensonge.
*
Le 3 novembre 1388, surlendemain de la
Toussaint, il y avait foule dans la grand-salle du palais épiscopal. Toutes les
têtes politiques, les grands barons, et les princes de sang se trouvaient à
Reims, entre autres les oncles et cousins de Bourgogne ou de Berry, Jean de Vienne,
Olivier de Clisson et tous les chefs militaires, sans compter les grands
officiers de la Couronne. Même les anciens conseillers de Charles V se
trouvaient présents : les Marmousets. Philippe le Hardi ne manqua pas
de les remarquer, une sourde inquiétude se mit à le tarauder, lui-même ignorait
les raisons de cette réunion extraordinaire.
Le palais bruissait de rumeurs : si certains
s’interrogeaient comme le duc de Bourgogne, d’autres espéraient l’événement
pour lequel ils avaient tant comploté.
Enfin les buccins sonnèrent. Le roi et la reine
firent leur entrée, et tous s’inclinèrent profondément.
Charles VI était somptueux, vêtu de la robe, de
la dalmatique et du manteau royal de couleur écarlate, brochés d’or et de
pierreries, un diadème posé sur ses cheveux blonds. Il dominait la noble
assemblée sous un dais de parade d’azur fleurdelisé. Il émanait de lui une
sorte de nouvelle virilité tout impériale. La reine se tenait noblement près de
lui, vêtue d’un ample pelisson vert herbeux, la couleur du roi, surbrodé aux
fleurs de lys. Sa coiffure à cornettes entrelacées de vagues de perles lui
donnait une hauteur régalienne. Un léger sourire animait son visage.
Le roi la fit asseoir, puis il étendit la main. Les
buccins se turent, et les gens de Cour se relevèrent. Le héraut interpella le
Grand Conseil :
— Oyez, oyez, oyez ! Le roi va parler !
Charles prit son temps, tous étaient suspendus à
son souffle.
— Par le Dieu tout-puissant, commença-t-il d’une
voix lente et bien posée, qui nous a fait roi de droit divin, nous remercions
le Seigneur de nous avoir gardé, d’enfance jusqu’à ce jour, en ma vingtième
année, huitième année de mon règne. Nous tenons à saisir sans plus tarder cette
noble assemblée et de faire ouïr combien nous avons de contentement au cœur, et
d’obligations et d’éloges aux chevaliers et aux écuyers pour les fatigues qu’ils
ont endurées. Nous saurons leur prodiguer, d’une main généreuse, les marques de
notre reconnaissance.
Il prit un temps, parcourant l’auditoire du regard,
puis ajouta :
— Nous supplions le vénérable cardinal de Laon,
aux illustres aïeux, renommé pour sa probité et son éloquence, de bien vouloir
suppléer à ma parole.
Et le roi prit place sur son trône, raide et
impérieux. Pierre Aycelin de Montaigu se leva dans le silence, le visage
grave.
— Je voudrais, illustres seigneurs, entonna-t-il
d’un ton emphatique, avoir reçu en partage le génie de Cicéron pour faire
passer dans vos esprits les sentiments qui m’animent.
Et il prit un temps. Sentant que le discours
allait être long, chacun se prépara à l’écouter avec patience. Michel Pintouin,
religieux à Saint-Denis, assis à l’écart sur le rebord du socle d’une statue, s’apprêta
à retranscrire mot à mot, pour sa chronique, de si longues et singulières
exhortations. En effet, ce fut long. Après s’être étendu sur ses propres
insuffisances, il parla de l’honneur du roi et du royaume en passant par les
circonvolutions d’exemples bibliques, citant des passages des Saintes Écritures,
s’égarant chez les Troyens, pour en arriver jusqu’au règne du sérénissime roi
ici présent, légitime héritier du trône.
— Je puis dire sans flatterie qu’il est digne
d’un tel honneur. En effet, nous voyons briller en lui tant de qualités
naturelles. Les vertus de son jeune cœur, dignes de sa haute naissance, exhalent
un si doux parfum. Il
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