Eclose entre les lys
soif.
Isabelle s’arrêta dans une métairie. Elle écouta
les doléances de ses paysans, et leur apporta son aide en les exonérant pour l’année
en cours des fouages et de la taille. Elle suivait en cela les conseils de
Mézières en matière d’impôts, qui disait « qu’à trop presser le raisin, il
n’y a plus de vin ».
Puis, comme le soleil atteignait son zénith et que
la touffeur était grande, elle demanda à ses gens quelque lieu abrité pour se
reposer. Au grand lit commun de la salle de ferme offert avec empressement, Isabelle
préféra la paille de leur grange, isolée en plein champ, à l’ombre d’un îlot d’arbres.
Elle s’y rendit, toujours sous la protection de
son capitaine. Le fidèle Pascal le Peineux monta la garde au-dehors, avec trois
hommes d’armes de toute confiance.
Sous un ciel comme chauffé à blanc, la campagne se
tenait immobile. Les troupeaux somnolaient dans les pâtures à la fraîcheur
parcimonieuse des bosquets, les oiseaux se taisaient, nul souffle ne faisait
bruisser les ramures. Dans l’air vitrifié qui palpitait, seules les
stridulations des grillons, ou le vrombissement soudain d’un frelon, rayaient
le silence accablé. Les amants joutèrent longuement de leurs corps nus, soûls
de chaleur et des odeurs d’herbes sèches, enivrés de leur liberté retrouvée. Isabelle,
faisant fi de ses pudeurs, avait à présent des audaces amoureuses, osait des
caresses qui laissaient le capitaine brisé d’amour. Dans cet univers écrasé de
soleil, ils étaient vivants, seuls au monde, et rien n’existait plus en dehors
de cet assouvissement d’eux-mêmes.
Alors qu’ils se reposaient de leurs ébats, les
préoccupations d’Isabelle la reprirent : elle ne pouvait oublier longtemps
la conjuration, le roi, la grande armée, son destin qui se jouait en ce moment.
— Que crois-tu, gentil Bourdon ? Le duc de Gueldre
livrera-t-il bataille ? murmura-t-elle à son amant qui semblait dormir, allongé
auprès d’elle.
Sans ouvrir les yeux, le sire de Graville lui
répondit d’une voix lente et rauque :
— Il le voudrait mais il ne le pourra, son armée
ne compte que six mille soldats… que peuvent-ils faire à un contre quinze ?
— Ainsi, ce voyage d’Alemanie est inutile ?
— Absurde, même !
Bois-Bourdon se redressa d’un coup de reins et s’assit
dans la paille. Isabelle ne put s’empêcher de se blottir contre son torse
puissant, lubrifié de sueur. Il referma ses bras sur elle en l’embrassant
tendrement sur le front.
— La chevalerie française elle-même, reprit-il,
ne peut souhaiter l’affrontement, elle sortirait déshonorée de ce combat inégal.
Quelques troupes auraient suffi à assurer la protection du duché de Brabant.
— Alors, que va-t-il se passer ?
— Rien, Guillaume l’Argenté se soumettra, et
l’armée du roi n’aura plus qu’à s’en retourner sans coup férir.
— De tels débours pour une simple soumission ?
Pourquoi donc le duc de Bourgogne tenait tant à ce déploiement de forces
outrancier ?
— Bourgogne sait que le Saint Empire s’inquiète
de son expansion en territoire germanique, expliqua le sire de Graville
après un instant de réflexion. Le Hardi tient à manifester ostensiblement son
hégémonie et sa souveraineté sur les Flandres. Il est le plus puissant prince d’Europe
et se devait de le démontrer une bonne fois. Pour cela, il lui fallait toutes
les forces du royaume de France derrière lui. Les petits princes allemands y
regarderont à deux fois avant de le provoquer à l’avenir.
Isabelle laissa passer un silence, songeuse.
— Pourtant, il se pourrait malgré tout qu’il
y ait la guerre. De Gueldre a fait alliance avec l’Angleterre qui pourrait
intervenir.
— L’Anglais ne bougera pas, affirma
Bois-Bourdon sans hésiter. Le duc de Lancastre est en conflit avec la
Castille où il se trouve présentement avec l’ost des Léopards.
*
Le sénéchal du Berry ne se trompait en rien.
L’oriflamme de Saint-Denis, qui avançait inexorablement,
finit par affoler Guillaume l’Argenté. Il en appela à l’Angleterre qui fit la
sourde oreille. Pourtant, il s’entêta, présumant d’un autre allié, le temps.
« Les eaux, le froid et les pluies guerroient pour moi. Les Français
arriveront si lassés qu’ils n’auront que le désir de s’en retourner promptement
avant que la mauvaise saison ne soit venue, afin d’être en leur hôtel pour y
passer
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