Eclose entre les lys
de nombreux chantres. Dans
un silence impressionnant, Pierre Aycelin de Montaigu entra, s’approcha du
lit, et salua le roi par cette prière :
— Dieu tout-puissant et éternel, qui avez
élevé à la royauté Votre serviteur Charles, accordez-lui de procurer le bien de
ses sujets dans le cours de son règne, et de ne jamais s’écarter des sentiers
de la justice et de la vérité. Par Notre-Seigneur !
Puis il lui tendit la main. Charles la prit et
sortit de son lit, le visage hébété : c’était par cette même prière qu’il
avait été levé au matin de son sacre.
— Que veut dire ceci, Éminence ?
— Un prodige, Majesté. Cette nuit, un ange m’a
visité en songe sur le commandement de Dieu, et m’a ordonné de vous éveiller
ainsi qu’au matin de votre bienheureux sacre, afin qu’il vous souvienne que
vous êtes roi de France, l’oint du Seigneur en neuf endroits de votre corps.
— L’aurais-je oublié ? s’émut le roi.
— Après votre couronnement en la cathédrale
de Reims, vous fûtes pris à nouveau par la main et conduit jusqu’au trône, poursuivit
le cardinal de Laon. Et il vous fut dit : « Demeure là, maintiens-toi
dans la place qui t’a été transmise par droit d’héritage, par l’autorité de
Dieu tout-puissant. Que le Seigneur soit avec toi ! »
Charles pleurait. Il était un enfant lorsqu’il avait
entendu ces mots.
— Que me veut votre ange, Éminence ?
— Que vous occupiez le trône qui vous a été
donné de droit divin, et que vous en chassiez ceux qui l’usurpent.
— Dites à votre ange, s’il vous visite à
nouveau, qu’il en sera fait ainsi.
— Il commande aussi que vous preniez reine.
— N’en ai-je pas ? répondit Charles, complètement
perdu.
— Devant Dieu, madame Isabelle est votre
épouse. Et selon Dieu, elle ne sera reine qu’ointe des saintes huiles.
— Elle le sera, répondit Charles, très
impressionné.
*
Après vingt longs jours encore d’un cheminement
harassant, l’armée royale arriva en Champagne à la veille de la Toussaint.
Ce fut un spectacle lamentable. Pour la première
fois, les princes se firent huer par le peuple, surexcité par des agents de Montjoie
Isabelle restés en France pour y attiser le mécontentement et la révolte. Il y
eut même des cris contre le roi, Charles, dit le Bien-Aimé.
Pour le duc de Bourgogne, un ange était passé, et
son crédit venait définitivement de s’enliser dans la boue des Ardennes.
*
Blessé profondément par cette hostilité, le
souverain ne désira pas entrer immédiatement à Paris. Il commanda qu’on y fît
quérir la reine, et convoqua son Conseil élargi en sa bonne ville de Reims. Puis
il passa trois jours en oraisons, au bout desquels il retrouva sa sérénité, et
c’est avec transport qu’il accueillit Isabelle.
La princesse de Bavière, qui connaissait l’étendue
du désastre, avait craint de le trouver abattu. Elle fut heureuse de le voir
dans une exaltation joyeuse.
— Madame, lui dit-il, j’ai grand prodige à
vous conter.
Il lui narra le songe inspiré du cardinal de Laon,
dont elle était l’instigatrice ; puis l’emmena à la cathédrale de Reims
pour remercier et louer le Seigneur.
Comme il se trouvait sur le parvis qui avait vu son
sacre, Charles VI retrouva avec émotion l’accueil de l’ Ange au sourire du grand portail. Il y vit encore la confirmation divine de sa mission. Il fit
alors signe à ses courtisans de se tenir à l’écart, et prit la main d’Isabelle.
— Vous souvenez-vous, ma mie, d’un même
portail, celui de la cathédrale d’Amiens, devant lequel je vous ai promis ma
foi ?
— Je m’en souviens, gentil sire, lui
répondit-elle avec douceur.
— N’ai-je point encore là trahi mon serment, comme
celui de mon couronnement ?
— N’y songez plus, je ne veux plus m’en
souvenir, le rassura-t-elle, comprenant qu’il avait fait allusion à leur
terrible nuit de noces.
— M’avez-vous accordé total pardon ?
En réponse, Isabelle posa doucement ses lèvres sur
celle de son époux. Charles en fut éperdu.
— M’aimez-vous donc, madame ?
— Oui, doux sire, sans mentir.
Et la reine ne mentait pas, sa tendresse était de
l’amour. C’est alors que le roi lui fit la même question qu’elle avait
elle-même posée un jour à Jean la Grâce.
— Croyez-vous que l’on puisse aimer deux
personnes à la fois ?
— Et même plus, l’amour ne se divise pas, il
se
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