Eclose entre les lys
l’on
aille quérir de quoi les satisfaire ; et pour les mêmes raisons, nul
ménestrel pour les distraire. Alors ils avaient bu, et bu encore. Et puis deux
d’entre eux s’étaient querellés plaisamment à propos des faveurs d’une noble
dame. L’un de s’en vanter, l’autre d’en douter. Le vantard prétendit en faire
la preuve au moyen d’une soierie aux couleurs de la dame et qu’il possédait
encore. Cette étoffe, il fallut que le jeune Bois-Bourdon la lui recherche au
fond d’un énorme coffre.
Il avait obéi. Pour fouiller à l’intérieur du
meuble, il dut y plonger le buste entier. Et l’horreur, l’inconcevable était
arrivé. Les seigneurs avaient refermé le lourd couvercle sur ses reins, le
maintenant prisonnier dans la plus humiliante des positions. Dans la
demi-obscurité, la tête en bas, avec le sang qui lui battait les tempes, il
avait crié grâce, supplié alors qu’on le mettait nu de la taille jusqu’aux
pieds. Il n’entendait comme réponses que rires stupides et réflexions obscènes.
Des mains lui avaient durement écarté les fesses. Il avait senti quelque chose
de graisseux dont on oignait son orifice naturel. Et puis il avait hurlé à s’en
casser la voix alors que l’on tentait de le forcer. En dépit de ses cris
désespérés, on s’acharna à vouloir le pénétrer, avec des coups de boutoir
rageurs, s’accrochant férocement à ses hanches, tandis que d’autres mains lui
maintenaient les jambes.
Il ressentait encore, il ressentirait toujours
cette douleur fulgurante, atroce, alors qu’éclataient des cris de triomphe. Et
ce puissant et déchirant va-et-vient à l’intérieur de ses reins. Sa souffrance
avait atteint alors un paroxysme intolérable. Se tordant en tous sens, il s’était
écorché les ongles en griffant le bois, avait mordu et déchiré les étoffes aux
fragrances suffocantes, les avait trempées de sueur et de larmes.
Il avait dû subir l’assaut successif des trois
seigneurs.
Louis se souvenait surtout de ce moment où il
avait accepté l’inacceptable. Au bord de l’asphyxie, sombrant dans une sorte d’hébétude,
il avait cessé de se débattre, il s’était soumis. La douleur avait laissé la
place à une sorte de jouissance de victime, et pour comble d’horreur, il avait
durci et répandu sa semence.
Quand les seigneurs eurent pris leur content de
plaisir, ils avaient relâché la pression du couvercle. Libéré, il s’était
redressé, le visage violet, les yeux hagards, le souffle coupé. Mais s’il s’évanouit
à ce moment-là, ce n’est pas à la vue du sang qui coulait le long de ses
cuisses, ce fut de honte et d’humiliation.
Il avait treize ans, l’âge d’Isabelle. À treize
ans, il s’était juré sur son salut qu’il tuerait ces trois hommes. Il y
mettrait le temps, il y vendrait son âme. Car son enfance était morte cette
nuit-là, et avec elle, tout ce qu’il y avait de tendresse, de pitié et d’amour
en lui. Il était devenu un homme froid, dur et cynique.
Plus tard, le duc de Bourgogne l’avait pris à
sa cour en qualité d’écuyer. Il s’y était bientôt rendu indispensable, organisant
des distractions particulières où lui, Bois-Bourdon, jouait les maîtres de
ballet. De victime, il était passé officiant. Il aimait à jeter les courtisans
dans les plus basses débauches. Et plus ils avaient de noblesse, plus il les
regardait avec satisfaction se vautrer dans le sordide, comme autant de
vengeances sans cesse renouvelées.
Philippe le Hardi ne fut pas sans remarquer
ses dispositions à se mettre au service des grands. Le jugeant sans scrupule, il
lui avait commandé d’expédier ad patres son beau-père le comte de Flandre,
dont il attendait si impatiemment l’héritage. Jamais ordre ne fut exécuté avec
plus de diligence. Bois-Bourdon regarda mourir Louis de Maele dans d’atroces
convulsions, sous l’effet du poison qu’il lui avait administré, sans aucune
pitié.
Le comte de Flandre était l’un de ses
violeurs. L’heure viendrait où il regarderait mourir de même les deux autres
avec le même plaisir, en leur jetant son abjection à la face.
Et par ce crime, il avait prouvé sa fidélité au duc
de Bourgogne, qui lui avait assuré sa protection. Peu de temps après, ce
dernier l’avait placé auprès de son neveu avec pour mission de distraire le roi
du pouvoir de toutes les façons possibles, et de lui en rendre compte. Ainsi, il
était rapidement devenu le favori
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