Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
Vom Netzwerk:
des
Hortillages pour se fondre dans l’ombre du grand portail central de la
cathédrale de Notre-Dame d’Amiens. Elles y conciliabulèrent, sous le regard de
pierre du Christ Roi, pétrifié dans une expression d’éternelle mansuétude, et
que les bonnes gens appelaient le Beau-Dieu. Puis les silhouettes se
remirent en marche. Elles empruntèrent bientôt la ruelle étroite des
Trois-Cailloux. Témoin du violent orage qui avait éclaté aux dernières heures
du jour, un véritable ruisseau charriait encore dans le milieu de la rue les
immondices jetées du haut des fenêtres par les riverains. Bien que leur errance
fût interdite, des cochons se vautraient, repus, avec des grognements sourds, dans
les eaux fétides. Ces éboueurs aux appétits solides avaient renoncé à leur
service de nettoiement et dormaient. Il fallait les contourner ou même les
enjamber lorsqu’ils se trouvaient sur le passage. Les silhouettes eurent
bientôt leurs chausses et le bas de leurs houppelandes crottés et trempés.
    Plus trace de pavoisement. Les pétales de roses et
les feuillages avaient été balayés par le flot. Les tentures et les étendards
avaient été retirés hâtivement. Derrière les volets clos, on les brossait, on
les lustrait, on astiquait les ors et les argents que le soleil retrouvé ferait
étinceler. Demain à l’aube, les rues grouilleraient à nouveau comme une
fourmilière industrieuse. Les citadins sortiraient des huches leurs meilleures
salaisons, tueraient et plumeraient leurs plus grasses volailles, mettraient en
perce leur plus fameux tonneau. On travaillerait sans relâche à la fabrication
des pâtés et des gâteaux, et l’on porterait en procession autant de victuailles
gracieuses au palais épiscopal en l’honneur du mariage de monseigneur Charles le
Bien-Aimé.
    Les petits sont prompts à s’esbaudir des bonnes
fortunes des grands, comme si leur bonheur était le leur, garant d’une ère
nouvelle de paix et de prospérité. Les larmes étaient toujours le prix de ces
espérances.
    — Dormez, bonnes gens ! On veille !
    Le cri du guet… Les sombres silhouettes se
volatilisèrent dans une rue adjacente avec des rires étouffés. Pourtant, ils
portaient l’épée au côté. Les archers passèrent en ayant soin de faire grand
bruit d’éperons et de voix ; ils évitaient ainsi la plupart des fâcheuses
rencontres. Enfin le guet s’éloigna. Les silhouettes encapuchonnées reprirent
leur chemin et arrivèrent devant une porte basse à l’enseigne de La Fille au
bain. L’un d’eux actionna un lourd marteau de bronze : deux coups
longs, trois coups brefs. Un judas tiré instantanément laissa passer une faible
lueur. La porte s’ouvrit et les silhouettes s’y engouffrèrent. Ils étaient
attendus.
    Un couloir était éclairé par de maladives
chandelles de suif qui laissaient échapper une fumée nauséabonde. La femme qui
leur avait ouvert, la maturité florissante, la taille cambrée, les hanches
larges, les y entraîna aussitôt, sans un mot. Au fond, elle tira une tapisserie
qui dissimulait une porte de chêne massif sculptée d’une femme nue, les cheveux
épandus, émergeant d’un ruisseau. L’hôtesse les introduisit dans une immense
salle à l’atmosphère saturée de vapeur d’eau, blanchissant la lumière des
torches plantées dans les murs. Un fort parfum de musc dominait celui plus
délicat de la fleur d’oranger et du romarin. Les cuviers étaient installés sous
des dais à lourdes tentures. Des valets s’activaient à remplir d’eau chaude ces
énormes baquets de bois, garnis de draps qui protègent la peau des échardes, et
où l’on peut se tenir à deux ou à quatre sur des bancs qui se font face. Dans
la haute cheminée, une plaque de ferraille était posée sur les braises qui
surchauffaient des galets. Un homme, au torse de forgeron, luisant de sueur, les
arrosait régulièrement. Dans un doux chuintement, il s’en élevait une vapeur
épaisse. La chaleur était suffocante.
    La tenancière frappa dans ses mains ; aussitôt,
de plaisantes personnes accoururent, vêtues de simples chemises de drap fendues
sur les côtés, les laissant nues au moindre de leurs mouvements à partir de la
taille. Avec des rires et des mignardises, elles débarrassèrent prestement les
jeunes gens de leur houppelande et de leur capuchon qui leur assuraient l’incognito.
Des valets choisis pour la beauté sculpturale de leur corps, un simple pagne
autour des reins,

Weitere Kostenlose Bücher