Eclose entre les lys
la
peau noire trahissait le caractère démoniaque. Point n’était pourtant
nécessaire de tant chercher, le capitaine connaissait l’existence de la
Barbaresque. La tenancière lui tenait bouche et yeux fermés par usure. C’est
avec regret qu’il allait devoir se résoudre à perdre une partie de ses revenus.
Pour distraire tous soupçons, il fouilla quelques étuves avec ses gens d’armes
avant de perquisitionner à l’enseigne de la Fille au bain, mettant en
émoi les bons bourgeois qui faisaient leurs ablutions quotidiennes. Les gens du
guet se saisirent de la tenancière et de la Barbaresque qu’ils prirent soin d’enfouir
dans un sac de toile, de peur que l’onagresse ne soit aperçue par la foule. Elle
aurait été lapidée sur-le-champ, ce qui aurait été du plus mauvais effet le
jour du mariage royal.
Le capitaine fit envoyer un messager à Pierre de Foissy
pour le prévenir du succès de ses recherches, alors que les carillons d’Amiens
se mettaient en branle pour appeler la population. Ils ne formèrent bientôt qu’une
seule voix qui répercutait son allégresse de clocher en clocher jusqu’au fin
fond des campagnes. Les villageois accouraient déjà en foule, lâchant en ce
jour glorieux leurs travaux des champs, abandonnant leur ferme pour voir leur
roi épouser.
Le soleil était de la fête, les remparts flamboyaient
de tentures et d’oriflammes. Des calicots pendaient à chaque fenêtre, à chaque
encorbellement, à l’image des fleurs de lys, du Christ ou de la Vierge. Les
gens se répandaient dans la ville aux cris de « Noël ! Noël ! ».
Les rues étaient à nouveau jonchées de feuillages et de pétales de fleurs. On
réamorçait les fontaines de lait, de vin ou d’eau de rose. Amiens n’en
finissait plus de pavoiser, Amiens exultait de l’honneur qui lui était fait.
*
À l’Hôtel de Bourgogne, l’oncle du roi, le duc
de Berry, dit le Camus, venait d’arriver de son palais de Nesle, à
Paris, afin d’assister au mariage de son royal neveu. Depuis la mort du duc d’Anjou,
il était l’aîné des princes des Fleurs de lys, le gouvernement de tutelle.
Philippe le Hardi, en le voyant paraître, l’avait
aussitôt entraîné dans son cabinet de travail où il hurlait et tournait comme
un fauve en cage. L’objet de sa colère était ce fameux projet d’un débarquement
en Angleterre dans lequel il s’investissait sans mesure.
— Nous avons rassemblé tout ce que nous avons
pu acheter ! lançait-il à Jean de Berry, qui écoutait les arguties de son
frère sans s’émouvoir. Nous avons loué des bateaux depuis la Prusse jusqu’à la
Castille. Nous sommes parvenus à réunir mille trois cent quarante-sept
vaisseaux de guerre et de transport, de quoi embarquer plus de cent cinquante
mille hommes, soixante mille chevaux, du ravitaillement, de l’artillerie et des
munitions. Nous avons réquisitionné soixante-douze bateaux pour le transport de
la ville de bois. Tout le monde veut s’embarquer, porter la guerre sur le sol
anglais, et toi… où est ton ost ?… Il devrait être déjà en route pour
Arras où se rassemble l’armée royale.
— Que de presse, mon frère, et que de presse
aussi pour ce mariage qui devait se faire également à Arras, répondit Jean de
Berry. As-tu donc peur que la fiancée ne se sauve ?
Le Camus restait tranquillement assis, affichant
une impassibilité ironique qui exaspérait son cadet de deux ans. Bourgogne
avait comme devise « Il me tarde », celle de Berry était « Le
temps viendra », ce qui en disait long sur leurs différences. Car si le Camus
était benoîtement gras, d’une graisse placide, difficile à émouvoir, Philippe le Hardi,
lui, était robuste et allait vite en besogne. Jeune, on l’appelait Philippe
sans Terre, aujourd’hui, à quarante-trois ans, l’étoile de Bourgogne était en
pleine ascension, une étoile dont la brillance faisait pâlir celles de toutes
les cours d’Europe. Bien pris, de formes pleines, il avait le teint brun et les
traits prononcés ; sa mâchoire inférieure accusait un fort prognathisme, marque
de sa dynastie.
Quant à Jean de Berry, il tenait son surnom de
Camus de son nez camard, qu’il avait court, en marmite, aux narines épatées. Il
était tout en rondeur, la tête comme une pleine lune, les pommettes saillantes
et rubicondes. Sa petite taille était toujours engoncée dans un manteau d’apparat
à haut col à fermail qui avalait son cou jusqu’au
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