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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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encore, et dont, comme ta cigarette, la vie se consume sans que tu y songes, et comme la
lumière du soleil tourne, jouis de la lumière, qui te va si bien. Jouis du jour présent et de ce prodige : tu vis. Et réfléchis encore avant d’écrire ta lettre de rupture.
    Hopper, dit Joséphine, voyait en cette jeune femme une wise tramp . Tramp peut signifier « prostituée » ; wise  : « avisée, de bon sens, habile ». S’agirait-il d’une prostituée qui exerce son métier dans un lieu où les touristes et les voyageurs sont nombreux ? Si cette jeune femme vit de se vendre, en cet instant, dans la lumière du soleil, elle n’appartient, elle ne se donne, qu’à elle-même.
     
    Une peinture, en 1944, Morning in a City (« Matin dans une ville »), pourrait être une variante de A Woman in the Sun . Nous sommes plus près de la femme, nous la voyons de trois quarts et de profil, et qui regarde par la fenêtre sur la gauche ; mais nous ne la voyons pas jusqu’aux pieds, nous ne la voyons pas tout entière. Par la fenêtre, encadrée de rideaux qui l’apparentent à la scène d’un théâtre, on aperçoit, sous un ciel bleu dont la base rosit, un immeuble et ses fenêtres en partie voilées par des stores verts eux-mêmes encore à demi dans l’ombre. Au-delà de la terrasse, un paysage, bleuté. L’horizon. Le bord blanc de la fenêtre de la chambre, près du rideau jaune, est rose.
    Ce nu est une étude de lumière et de son jeu avec les surfaces et les volumes d’une architecture urbaine, intérieure et extérieure : « Matin dans une ville », en effet ; lumière du matin sur la ville. Il est arrivé à Hopper de dire, lorsqu’il évoquait, sans plaisir, son travail d’illustrateur : « Ce qui m’intéressait, ce que j’aimais représenter, ce n’était pas les gens qui vont et viennent, s’agitent, mais, toujours, l’architecture. » L’architecture, les formes et les inventions, la diversité
de l’architecture ; ou le jeu qu’avec elle, selon l’heure du jour, selon les saisons, joue la lumière, le soleil ? Intérêt commun au peintre et à l’architecte. La peinture, le tableau, est plan et couleur, architecture plane et colorée ; par la perspective et la couleur elle-même, le tableau, la peinture peut être miroir et célébration de la lumière et des choses convexes et concaves qui sont le propre de l’édifice. De la Renaissance à De Chirico, à Hopper, l’architecture, comme le paysage, est devenue sujet plénier de la peinture ; cessant d’être le lieu nécessaire à l’action. Mais pour que le tableau vibre, vive, la représentation de l’architecture ne saurait être purement descriptive, documentaire ; il faut qu’un autre élément entre en composition, ne fût-ce que pour donner l’échelle. On le voit chez De Chirico : l’autre élément est l’ombre, l’énigme de l’ombre ; ou tel objet incongru, tel bric-à-brac onirique au milieu d’un espace somme toute familier. Chez Hopper, la présence humaine, une certaine présence, ou l’énergie végétale, son obstination, parfois sa menace, est cet élément complémentaire.
    La femme tient devant elle, à hauteur des seins et jusqu’au pubis, une longue serviette blanche, une serviette de bain, sans doute ; ce qui indiquerait qu’elle achève sa toilette ; ceci : pour l’anecdote, la circonstance, le naturel de la pose. Mais, pour le peintre, cette blancheur, avec ses ombres et ses plis, dans le soleil, est un moyen de traiter la lumière, de l’accueillir, de la placer au centre du tableau, formant écho à l’oreiller froissé et aux draps, propices au jeu de l’ombre, à sa douceur. Cependant, la femme regarde au-dehors, observe peut-être quelqu’un ; elle se sait donc visible ; et se couvre un peu, par pudeur. Là-bas, chez elle, à sa fenêtre, une autre femme est peut-être nue,
insoucieuse qu’on puisse la regarder, ou, qui sait ? prenant plaisir à être vue, de loin : visible, inaccessible.
    La femme à la serviette regarde la femme nue que nous ne pouvons qu’imaginer. L’inconnue, est-ce une femme plus jeune, plus âgée ? La femme qui est proche de nous regarde la femme invisible comme si elle se voyait dans un miroir : un miroir qui serait le temps. Et le peintre regarde son modèle comme cette femme, ce modèle, au seuil de la journée, dans la lumière, regarde, là-bas, une autre elle-même.
    La fenêtre, le miroir : deux thèmes depuis longtemps

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