Edward Hopper, le dissident
appareil sévère, stores jaunes, marches, du trottoir à l’entrée. Mais la façade y est représentée en vue plongeante et en oblique : ce qui donne du mouvement à cette image d’un immeuble. C’est qu’il s’agit de trottoirs, lieu où l’on va et vient, non d’une attente devant chez soi. Un rideau jaune est incurvé par le vent, un courant d’air, mais à peine : de même que bouge, légèrement, le rideau blanc de la fenêtre ouverte. Le vent, dans ce tableau, se manifeste d’une autre façon que dans Été : par le voile d’une nurse en habit sombre, pèlerine ou cape, qui, de la
gauche vers la droite, pousse un landau, capote noire levée (on ne voit pas le bébé ; mais la couverture rouge ou rose qui le couvre est la note la plus vive de l’ensemble). La nurse n’a pas tourné le bébé face à elle : ce qui l’eût mieux abrité du vent. Face au vent, elle semble se hâter. Elle est un peu rougeaude : le vent, sans doute. Peut-être la marche rapide.
Metteur en scène, instruit par la peinture de Degas, le peintre a « coupé » l’image : on voit la partie haute du péristyle, on ne voit qu’en partie la nurse et le landau : d’où l’impression de vie, de chose vue dans la rue.
High Noon (« Midi », 1949). Il est midi. Le ciel est bleu comme une mer bleue. Blanchi de nuages comme la mer se blanchit d’écume. Sur son socle rouge, au milieu de l’herbe, face à nous, la maison est blanche : un cottage de planches peintes en blanc, comme la coque neuve d’une barque. La maison forme et compose un jeu de carrés, de rectangles, de triangles. Le toit est d’un joli gris. Les volumes et les angles dessinent sur la façade et le toit des ombres nettes et bleutées. Pour inventer avec véracité cette maison, et le jeu d’une lumière zénithale, observer le jeu du soleil sur les surfaces et les volumes, le relief, le peintre a fabriqué un modèle en carton ; comme il construisait les décors du petit théâtre dont s’amusait sa sœur.
La jeune femme qui se tient debout dans l’embrasure de la porte, sur le seuil, ne peut rien voir de cette beauté, dont elle fait partie. Elle se tient immobile dans la lumière. Elle est blonde. Elle est vêtue d’une robe bleue, qui lui tombe jusqu’aux chevilles, ou d’un peignoir, entrouvert : elle est nue. Sa main gauche effleure son sein droit. Sa chevelure tombe sur ses
épaules. À la mansarde, à l’étage, un rideau entrouvert. Écho au socle rouge de la maison, et touchant le bord supérieur du tableau, une cheminée rouge s’érige, puissante, dans le bleu du ciel. On ne sait si la jeune femme est seule chez elle ou guette l’arrivée de quelqu’un. Quelqu’un d’assez proche pour qu’elle le reçoive demi-nue. Mais peut-être rêve-t-elle : si un voyageur, soudain, survenait, et qu’il la surprît ainsi, nue sous ce tissu léger, entrouvert ? Mais il fait très chaud. Et la jeune femme sait qu’elle est seule comme dans une île déserte.
Marion ne s’est jamais mariée. Elle a vécu jusqu’en ses derniers jours dans la maison familiale.
South Carolina Morning (« Matin en Caroline du Sud », 1955). En robe rouge peu transparente et chaussures noires, chapeau rouge rose, bras nus, croisés, joues et lèvres rouges, hâle, ou maquillage, anneau en boucle d’oreille, elle se tient debout, un peu déhanchée, un peu vulgaire, à l’entrée de sa maison en bois, nous toise. Les lames des volets sont d’une maison laissée à l’abandon. Nous passons notre chemin. Nous nous sommes égarés dans ce paysage d’herbe jaune jusqu’à l’horizon. Le ciel d’un bleu céleste répond à la pâleur du plancher ou du ciment qui borde et prolonge la maison, comme une estrade. Peinture consolatrice. Elle permet de faire d’un chagrin ou d’un dégoût, d’un mauvais souvenir, d’un mauvais rêve, d’une triste réalité, une merveille ; à force de travail. D’obstination.
Summer Evening (« Soir d’été », 1947). Cette maison de bois, avec véranda, imite par ses colonnes une maison de pierre, comme il s’en trouve dans les
grandes villes. Dans l’embrasure d’une fenêtre ouverte, sur fond noir, un couple jeune. Elle est en short et brassière rose, et s’appuie sur le rebord de la fenêtre, les bras tendus derrière elle. On voit la courbe et même la pâleur de son ventre sous l’étoffe. Un jeune homme, costaud, viril, pantalon, débardeur, la main sur la poitrine, à
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