Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
Vom Netzwerk:
donc de mettre en scène un désir féminin rencontrant l’indifférence d’un homme ; et, plus généralement, un « refoulement », une « inhibition », un mal-être sexuel ? Hopper n’a pas cautionné cette interprétation, qui semble avoir l’évidence pour elle. Il disait qu’il n’y avait à chercher dans cette scène aucune intention particulière. «  I hope this picture will no tell any obvious anecdote, for none is intented.  » Mais on sait que les déclarations
de Hopper sur ses peintures ne sont pas nécessairement à prendre pour argent comptant.
    — Il n’a rien dit d’autre ?
    — Il insistait sur les problèmes qu’il avait dû résoudre : les sources des lumières ; celle de la lampe de bureau, celle qui vient du dehors et qui fait du mur une espèce d’écran de cinéma, et la lumière réfléchie par le plafond… Ce problème, aussi : comment traiter la surface blanche du mur et l’accorder au bord sombre de l’armoire métallique, tout en accordant entre elles l’armoire et la figure de la secrétaire.
    — Et quelle est votre interprétation ?
    — Je crois en effet qu’il vaut mieux penser cette peinture en termes de peinture qu’en termes romanesques, en termes de sous-entendus, et qu’il faut se garder de tomber dans ce qui s’offre à nous comme l’évidence et qui touche à la sexualité : de « tomber dans le panneau ». Mais il me semble que Hopper, tout en se posant des problèmes de peintre, notamment en ce qui concerne la représentation et le jeu de la lumière, a caché sous le sujet évident un autre sujet.
    — Lequel ?
    — À terre, près du bureau, en partie glissé sous le bureau, il y a un papier : un petit triangle blanc. Une lettre, peut-être. Le patron ne semble pas en avoir conscience. Mais la secrétaire, c’est ce coin de papier qu’elle regarde, je crois. Elle s’arrangera pour partir la dernière, prétextant quelque chose à ranger, à mettre en ordre, laissant le patron rentrer chez lui. C’est alors qu’elle prendra connaissance de ce que contient l’écrit qui aurait dû finir à la corbeille. Elle le lira, elle pâlira affreusement. Et nous aurons peut-être le mot de l’énigme. Ou, plutôt : la clef de l’énigme est précisément ce petit triangle blanc, inaperçu ; peinture et
anecdote. Sinon, pourquoi ce coin de papier blanc ? Il passe inaperçu et je pense que son insignifiance est significative. Il se pourrait aussi que le patron ait tendu un piège à sa secrétaire en lui donnant l’occasion de découvrir ce billet qui semblait tombé à terre par accident. Quoi qu’il en soit, je crois que ce tableau est une sorte de piège, et que ce piège est en premier lieu, en dernier lieu, tendu à celui qui le regarde et s’interroge sur le sens de la scène. Nous tombons dans le piège si nous regardons ce tableau comme si nous étions devant une énigme de nature policière. Or, je le répète, c’est de peinture , qu’il s’agit.
     
    Sunlight in a Cafeteria (« Lumière du soleil dans une cafétéria », 1958). Sunlight on Brownstones (« Lumière du soleil sur Brownstones », 1956). Le soleil donne à plein sur le mur qui, dans la cafétéria, est proche de l’entrée, une porte-tambour. La jeune fille s’est attablée face à lui pour en jouir et en être éclairée. Elle est habillée d’une robe d’été, légère, tête nue ; ses cheveux sont d’un beau roux, solaire. Le verre sur la soucoupe est vert, et ce vert et le bleu de la robe vont bien ensemble. Sur les autres murs, un joli jeu d’ombre et de soleil. La jeune fille a posé les mains sur la table comme si elle lisait une lettre ; mais il n’y a rien entre ses mains (s’il y a quelque chose, nous ne voyons pas ce que c’est). Elle tient la tête un peu inclinée. Peut-être est-elle un peu éblouie.
    Un jeune homme, à une table voisine, tend la main comme s’il faisait un geste vers la jeune fille, et lui adressait la parole. Mais il ne dit rien. Son geste, ou plutôt son attitude, est celle de quelqu’un qui écarte de lui la cigarette qu’il tient entre deux doigts. Il regarde la jeune fille, mais on pourrait croire que ce n’est pas
elle qu’il regarde, indiscrètement : plutôt la rue, par cette large baie sans rideau, ou l’immeuble gris qui la longe, encore à l’ombre, ou bien même, sur le rebord intérieur de la fenêtre, dans un pot bleu, une plante verte dont les feuilles luisent et boivent la lumière. Il

Weitere Kostenlose Bücher