Elora
de l’enfermer au sommet d’une tour pour le protéger des tentatives de meurtre de son frère. Hélène avait suivi son exil, le chagrin au ventre, quémandant des nouvelles à son père. Tout ce que Jacques de Sassenage avait entrepris jusque-là pour aider à sa libération avait échoué. Le roi de France avait mieux à faire. Serait-il possible qu’enfin… Il ne lui en avait pas parlé. Par crainte qu’elle ne fût déçue ? Toutes ces questions la ravageaient presque autant que cette phrase : « … co mme toutes les autres, cette lettre… »
Qu’étaient-elles devenues ces missives dont elle se serait régalée, nourrie, régénérée ? Avaient-elles été dérobées ? Leurs messagers assassinés à l’égal de celui trouvé par les enfants ? Un frisson la parcourut. Qui avait intérêt, ici, à les espionner ? Et dans quel but ?
Ragaillardie soudain comme si ces dix dernières années avaient levé leur voile, Hélène replia la lettre, la rangea dans son corsage, sécha ses yeux d’un revers de manche, se leva du banc de pierre près duquel un chaton jouait et marcha d’un pas nouveau vers le corps de logis du château.
Le jour déclinait.
Son époux devait être revenu et, dans cette affaire, il était le premier concerné.
3
Petit Pierre tremblait. Il n’en laissait rien paraître, bien sûr, fier de se trouver là avec six cochons de lait et leur mère, au milieu de la route qui, longeant la rivière de la Bourne, menait au village de Pont-en-Royans accroché à la falaise.
Conscient que les autres le surveillaient, tapis en embuscade sur les branches hautes des arbres, il bombait le torse avec le sentiment oppressant que son cœur allait, à chaque inspiration, crever l’épaisseur de sa poitrine.
Celma, la devineresse de leur communauté, avait annoncé deux heures plus tôt le passage d’un charretier. Elle ne se trompait jamais.
Petit Pierre se remémora les consignes qu’on lui avait données. Bien garder le milieu de la chaussée, très étroite en cet endroit, avec ses bêtes, pour obliger le conducteur à s’arrêter. Le front moite, il tendait l’oreille. Se tétanisa lorsqu’il capta le martèlement lourd des sabots du bœuf derrière lui.
Un virage encore, prisonnier de part et d’autre de gros blocs de roches, et le conducteur l’apercevrait.
— Tiens-toi prêt, entendit-il murmurer dans un discret froissement de feuilles au-dessus de lui.
Fanette.
Petit Pierre singea un pas nonchalant.
« Ce soir, pensa-t-il pour se rassurer, plus personne ne songera à se moquer de moi. »
Comme prévu, le convoi s’immobilisa derrière lui et une voix le héla. Une voix forte, puissante, amicale.
— Hardi, mon garçon, pique-les au cul si tu veux les garer !
Petit Pierre se retourna, dévisagea cet homme qu’ils allaient détrousser. De figure avenante, il avait l’œil confiant et souriait, charitable, de l’inexpérience du garçonnet.
— Crois-moi. Faut pas hésiter à piquer, répéta-t-il.
Petit Pierre hocha la tête. Sa gorge était si serrée qu’aucun mot n’aurait pu la franchir. Obéissant, il pointa son aiguillon au jarret de la truie, l’obligeant à abandonner les glands qu’elle avait trouvés. Il devait passer les arbres pour se mettre à couvert. Laisser les autres agir.
— Où tu t’en vas comme ça ?
« Réponds, hurla une voix dans sa tête. Réponds ou il devinera tout. »
Petit Pierre bégaya :
— Chez ma tante, à une demi-lieue.
— La ferme des Moriset ?
— C’est ça, oui…
Le marchand fronça les sourcils. Il connaissait bien la famille et n’avait jamais entendu parler d’un neveu. Il perçut le danger au moment même où Petit Pierre, allongeant le pas, sortait du champ de l’embuscade.
— Bougre de… jura-t-il en arrachant une épée courte de sa ceinture.
Trop tard. Dans un hurlement animal qui donnait le signal de l’attaque, Fanette se laissa tomber sur les épaules de l’homme. Il s’agita pour se dégager de ces jambes qui emprisonnaient son col, de ce buste de femme qui se courbait au-dessus de lui avec un plaisir impitoyable, de cette main qui lui arrachait les cheveux pour lui tirer la tête en arrière tandis qu’une autre le défaussait de son arme.
Arrêté dans sa course par la violence du cri, Petit Pierre se retourna, le souffle court, l’angoisse au ventre, au beau milieu de la route. La charrette était cernée, le bœuf, inquiet, immobilisé par Villon.
Une
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