Emile Zola
à Paris et s'est trouvé mêlé à des agents bonapartistes, croit à la réussite du complot, et s'efforcera de le faire triompher, en province comme à Paris.
C'est la famille Rougon.
Ici, l'auteur abandonne la peinture de cette société de Plassans, avec ses types subalternes : le marquis de Carnavant, le vieux beau ; Granoux, le prudhomme féroce ; Roudier, l'important ; Vuillet, le journaliste clérical, suant l'eau bénite et distillant la haine ; il entre en plein dans le cœur de son sujet, et nous décrit cette famille Rougon.
Cette galerie de portraits en pied, peints en pleine pâte, avec une largeur de touche, accompagnée de finis et de pointillés surprenants, comprend une série de figures, d'une variété et d'une vérité qui frappent. Elle s'ouvre par ce portrait de l'aïeule, de l'ancêtre, Adélaïde Fouque, de qui descendra cette race complexe des Rougon et des Macquart. Provençale, fille et femme de paysans, orpheline à dix-huit ans, Adélaïde était une grande fille maigre à l'oeil trouble, aux airs étranges, dont le père mourut fou, et qui passait, dans le pays, pour avoir le cerveau fêlé comme son père.
Cette folie originelle se retrouvera plus ou moins accentuée, plus ou moins visible, dans ses manifestations, dans toute la descendance de cette Adélaïde. On en suivra les traces, d'Aristide Saccard, le spéculateur éhonté qui tripote dans la bâtisse et tire des millions du vieux Paris exproprié, jusqu'au séraphique abbé Mouret, tombant pâmé dans les bras d'Albine, sous l'arbre géant, à la sève capiteuse et au branchage extatique, du mystérieux Paradou ; d'Eugène Rougon, le politique, l'homme fort, le ministre, se jetant, comme une bête en rut, sur la froide Clorinde, dans la pénombre tiède de l'écurie, jusqu'à Gervaise, la femme de Coupeau l'alcoolisé, trébuchant, en compagnie de Mes-Bottes et de Bibi-la-Grillade, devant le comptoir terrible du père Colombe.
Cette Adélaïde Fouque épouse un paysan des Basses-Alpes, nommé Rougon, son domestique, qui meurt bientôt en lui laissant un fils. La jeune veuve prend presque aussitôt pour amant un homme mal famé : «ce gueux de Macquart», comme on le désigne dans le pays. Macquart est grand pilier de cabaret, et, quand le débitant chez qui il fréquente ferme sa porte, c'est d'un pas solide, la tête haute, comme redressé par l'ivresse, qu'il rentre chez lui, et on dit sur son passage : «Macquart marche bien droit, c'est qu'il est ivre-mort !» À jeun, il va courbé, évitant les regards.
De cette liaison d'Adélaïde la folle avec l'alcoolisé Macquart, naissent des enfants portant en eux ce double vice héréditaire, qu'ils transmettront : l'alcoolisme du père, le nervosisme de la mère.
L'intérieur de ce faux ménage est lugubre. Pierre Rougon, l'aîné, l'enfant des justes noces, grandit entre les deux bâtards. Il s'empare de sa mère et la domine, chasse ses frères et soeurs, et, quand Macquart meurt d'une balle reçue au coin d'un bois, en faisant la contrebande, il confine la veuve dans une masure sombre, isolée au fond d'une impasse, derrière un cimetière, s'empare de son avoir et le gère. Voilà posée la première pierre de l'édifice futur des Rougon. Cette pierre a pour assises la cupidité et le mépris du sentiment le plus doux chez l'homme : l'amour filial. Viendront ensuite la trahison, la ruse et le crime. La progression ascensionnelle de Pierre Rougon, son mariage avec Félicité, la femme intelligente et ambitieuse, «petite Provençale noire, semblable à ces cigales brunes, sèches, stridentes, aux vols brusques, qui se cognent la tête dans les amandiers» ; l'extension donnée à son commerce, puis le temps d'arrêt dans la montée, la malchance, les faillites, dont on subit les contre-coups, les enfants qui surviennent et dont l'éducation coûte cher, toute cette lutte obscure et acharnée, qui dure trente ans, nous mènent jusqu'à la veille du coup d'État.
Alors se dessine le caractère odieux du chef de la famille. Pierre Rougon est poussé par son fils Eugène, et par sa femme qui n'a qu'un rêve : avoir un salon comme celui du receveur particulier, un salon tendu de damas de soie, où le Tout-Plassans souhaitera d'être invité, une cour provinciale dont elle serait la reine. Il s'enhardit, il se révèle. Au milieu de l'affolement des bourgeois et des hobereaux, surpris par l'apparition des bandes de paysans soulevés, à la nouvelle du coup
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