Emile Zola
affirment, au portail même du monument massif et géant des Rougon-Macquart, quel poète et quel artiste en fut le constructeur.
Miette, c'est Chloé. Elle a treize ans. Elle est donc à l'heure indécise où, de l'enfant, chrysalide ambiguë, la jeune fille se dégage. Miette s'élance dans la vie, comme une libellule, échappée du calice d'une fleur, s'envole parmi les roseaux. Avec quelle délicatesse Zola dépeint cette envolée printanière :
Il y a alors, chez toute adolescente, une délicatesse de bouton naissant, une hésitation de formes d'un charme exquis ; les lignes pleines et voluptueuses de la puberté s'indiquent dans les innocentes maigreurs de l'enfance ; la femme se dégage avec ses premiers embarras pudiques, gardant encore à demi son corps de petite fille, et mettant, à son insu, dans chacun de ses traits, l'aveu de son sexe. Pour certaines filles, cette heure est mauvaise ; celle-là croissent brusquement, deviennent jaunes et frêles comme des plantes hâtives.
L'analyse du romancier est complétée ici par l'observation du physiologiste, et le charme de la forme et l'éclat du coloris parent et masquent la vérité scientifique.
Donc Miette-Chloé et Silvère-Daphnis s'aiment ingénuement, crûment. Ils se le disent, naïfs et sincères, durant de longues promenades, le long des bords encaissés de la Viorne, et aussi dans les faubourgs déserts, par les allées des routes, les terrains vagues, les lieux sombres, les cours peu fréquentées, dans tous les recoins propices et au fond de toutes les solitudes, délicieuses et cherchées. Les deux amoureux, pour accomplir en toute sécurité ces promenades si douces, s'enfouissent dans la mante vaste de la jeune fille. Enveloppés, encapuchonnés, isolés, ils vont, se parlant bas, et se pressant silencieusement l'un contre l'autre.
Ils cheminent au hasard devant eux, tout sentier leur étant bon. Parfois ils rencontrent d'autres couples, des amoureux comme eux, et, comme eux, serrés et abrités sous l'ampleur des mantes :
... dominos sombres qui se frôlent lentement, sans bruit, au milieu des tiédeurs de la nuit sereine, et qu'on croirait être les invités d'un bal mystérieux que les étoiles donneraient aux amours des pauvres gens...
Le tableau est charmant. Le Maître en tirera d'autres exemplaires, par la suite, comme lorsqu'il nous peindra ses deux petits amoureux parisiens gaminant dans les sous-sols et parmi les arceaux des Halles.
Une fraîche odeur de jeunesse circule, comme un bon parfum de foin coupé, à travers ces pages savoureuses. Le poète délicat, qu'il y eut dans celui qu'on se plut à traiter de pornographe, et à considérer comme un brutaliste incapable de sentir et de décrire autre chose, dans l'amour, que la culbute et l'étreinte haletante de la bête s'assouvissant, se laisse aller à l'émotion jeune et débordante de ses deux gentils personnages. C'est avec une sincérité émue, avec un enthousiasme où il y a de l'adoration, du désir, et peut-être une secrète envie, c'est avec une effusion toute juvénile, que les chastes enivrements des deux enfants nous sont contés. La scène délicieuse du puits, miroir gracieux et truchement fidèle des amants de l'aire Sainte-Mitte, prouve une fois de plus que, dans l'oeuvre de l'écrivain naturaliste, il y a place pour les peintures les plus douces et les plus fraîches, telles que le caprice d'un poète élégiaque pourrait en évoquer. Et ce n'est ni une fausse note ni une contradiction, puisque ces scènes gracieuses et touchantes se rencontrent dans la nature.
Car ils sont vivants et vrais, ces deux enfants qui s'aiment, en dépit des temps mauvais et des préjugés pires. Avec quel art le romancier a su nous intéresser à eux, et mêler leur hymne de passion à la symphonie puissante et terrible de l'insurrection des gens de Plassans ! Avec quelle émotion on suit leur marche vagabonde dans la nuit, quand, Paul et Virginie provençaux, enfouis sous le capuchon et la mante épaisse, comme les poétiques amants de l'Île de France sous la feuille protectrice et large du latanier des Pamplemousses, ils s'enfoncent, insoucieux et gais, dans l'ombre ouvrant devant eux son porche mystérieux. Ils suivent cette grande route noire, en parlant d'amour et d'avenir, cependant qu'à l'horizon gris-bleu, où déjà se dessine la barre blanchissante de l'aube, monte, grandit, éclate la rumeur étrange d'une foule en mouvement. C'est le peuple qui,
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