Emile Zola
aucune relation, et qui vous écrirait : «J'en ai trop de vous, séparons-nous !» Eh bien ! la position est analogue...
Ah ! si des amis m'avaient tenu un tel langage !... Si Maupassant, Huysmans, Céard, m'avaient parlé de la sorte, j'avoue que j'eusse été quelque peu estomaqué. Mais la déclaration de ces messieurs ne saurait me produire un tel effet ! Je n'y répondrai du reste absolument rien, et cette détermination se trouve fortifiée par les conseils qui m'ont été donnés de toutes parts.
Il écrivit à J.-K. Huysmans, le 21 août 1887 :
Tout cela est comique et sale. Vous savez ma philosophie au sujet des injures. Plus je vais et plus j'ai soif d'impopularité et de solitude...
À Alphonse Daudet, qui avait été indiqué, à tort, comme ayant sinon inspiré, au moins approuvé le manifeste des Cinq, il écrivit :
Mais jamais, mon cher Daudet, jamais je n'ai cru que vous ayez eu connaissance de l'extraordinaire manifeste des Cinq... le stupéfiant, c'est que de victime, vous m'avez fait coupable, et qu'au lieu de m'envoyer une poignée de main, vous avez failli rompre avec moi.
Avouons que cela dépassait un peu la mesure...
Zola dédaigna donc de répliquer ou de réfuter. Mais on a répondu pour lui. Pour donner idée de la vivacité de la polémique d'alors, et, en choisissant entre vingt ripostes, également vigoureuses, au factum des Cinq, je citerai un passage du très virulent mais très juste réquisitoire, qu'en guise de plaidoyer Henri Bauer publia. Cet article vengeur parut dans le Réveil, organe littéraire dont j'avais la direction, et où, on s'en souvient peut-être, Paul Verlaine oublié, calomnié, ou repoussé, fut accueilli, reparut à la publicité ; là il donna des tableaux et des fantaisies, sous la rubrique :
«Paris vivant», qui, après dix ans de silence, firent de nouveau prononcer son nom, bientôt retentissant et glorieux.
Dans ce journal, très artiste, où Alphonse Daudet publia Sapho, et Guy de Maupassant plusieurs nouvelles inédites, parmi lesquelles les Sœurs Rondolli, et où Paul Bonnetain avait débuté, Henry Bauer s'exprima ainsi, avec cette franchise brutale qui lui valut en maintes circonstances beaucoup d'ennemis, mais qui caractérisait son talent sincère et indépendant :
Tant pis pour Bonnetain ! Tant pis pour Descaves ! Vous avez fait là, mes garçons, une vilaine besogne qui se retournera contre vous-mêmes.
Vous avez oublié que le peu que vous êtes, vous le lui devez ; vous n'existez que par lui. Tout, votre forme, votre style, votre vocabulaire, vos images, vos idées procèdent de son oeuvre, et vos pattes de mouches sont frottées à sa griffe. Vous êtes bien jeunes pour être ingrats. Apprenez, mes petits, que toute la littérature contemporaine a pris son essor dans ces Rougon-Macquart «ridicules».
Vous mordez les talons du père qui vous a tous engendrés et vous essayez d'ameuter le Philistin contre votre créateur, gare à la mâchoire d'âne !
La correction était infligée de main de maître. Les quatre, car l'instigateur de la réclame cherchée disparut bientôt, ont depuis fait oublier cette incartade de jeunesse à force d'oeuvres estimables.
L'un des signataires devait d'ailleurs, par la suite, faire des excuses publiques qui honorent également celui qui les formulait si spontanément et celui qui les acceptait avec une généreuse effusion.
M. Paul Margueritte écrivit à Zola, au moment de la publication de la Débâcle, la lettre suivante :
9 mars 1892.
Cher monsieur Zola,
C'est avec émotion que je vois la division Margueritte et le nom de mon père jouer un rôle dans la Débâcle. Je pressens que vous serez sympathique aux efforts perdus de cette belle cavalerie et à la mort de son chef, sacrifié avec tant d'autres, à Sedan.
Laissez-moi saisir cette occasion-je n'en pourrai trouver une meilleure-pour me décharger auprès de vous, en toute franchise, d'un regret qui me pèse depuis longtemps. En m'associant, il y a quelques années, à ce manifeste contre vous, j'ai commis une mauvaise action dont mon extrême jeunesse m'empêcha alors de comprendre la portée, mais dont j'ai eu quelque honte depuis, lorsque j'ai mieux compris le respect qu'on se doit, d'homme à homme, et que je devais surtout, moi débutant de lettres et fils de soldat, à une vie d'écrasant labeur, de fier combat et d'exemple, comme la vôtre.
Il y a
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