Emile Zola
longtemps, cher monsieur Zola, que je voulais vous écrire cela.
En tardant, je n'ai fait que prolonger mes regrets et la conscience de mes torts. Voudrez-vous bien accepter ces excuses aussi franchement et complètement que je vous les offre ?
PAUL MARGUERITTE
Cette lettre, à laquelle Zola a cordialement répondu, a été publiée dans le 2e volume de la Correspondance.
* * * * *
La Bête Humaine, publiée en 1890, c'est le roman sur les Chemins de fer, que Zola avait depuis longtemps projeté d'écrire. C'est l'ouvrage le plus dramatique de la série des Rougon-Macquart, un roman criminel, avec des péripéties feuilletonesques. De plus, rappelant des crimes sensationnels : tels que l'assassinat du président Poinsot, en wagon, par l'introuvable Jud, le meurtre également impuni du préfet Barême, et la vengeance d'un perruquier méridional égorgeant un prêtre, par qui sa femme déclarait avoir été séduite avant son mariage. Ce roman a paru en 1890.
Zola a déclaré «avoir eu une peur terrible qu'il ne fût pris pour une fantaisie sadique».
Voici les grandes lignes de ce roman, qu'il est surprenant qu'un émule de Busnach n'ait pas encore transporté à la scène :
Le sous-chef de gare Roubaud, passionné, brutal et jaloux, a épousé une jolie fille, élevée en demoiselle, la protégée du président Grandmorin.
Le mari adore sa femme. La jeune Séverine, un nom bien littéraire pour une petite campagnarde devenue l'épouse d'un employé, se laisse passivement aimer. Le ménage est heureux, paisible, honnête. Tout à coup l'accident surgit, sans lequel il n'y aurait pas de roman. Roubaud découvre que sa femme l'a trompé, oh ! avant son mariage. Le président Grandmorin, un satyre en robe rouge, a caressé, frotté, pollué Séverine, à l'âge où la fleur conjugale charmante n'était encore qu'en bouton. Puis il l'a mariée à un brave homme d'employé, après lui avoir passé une bague au doigt, en souvenir des bons moments écoulés dans ses tentatives séniles, au fond de la solitude propice de la Croix de Maufras, son domaine.
La scène de l'aveu surpris est une des plus poignantes du livre. Roubaud a interrogé sa femme sur la provenance de la bague, un serpent d'or à petite tête de rubis. Sottement, inconsciemment, Séverine a répondu que c'était un cadeau du président, un cadeau ancien, à l'occasion de ses seize ans.
Roubaud s'étonne de cette réponse. L'explication, simple et vraisemblable, lui semble suspecte, parce que différée.
«Tu m'avais toujours dit, murmure-t-il, soupçonneux, que c'était ta mère qui t'avait laissé cette bague ?...» Et cette interrogation engendre aussitôt la défiance. Séverine avait donc menti ? Pourquoi cachait-elle l'origine de la bague ? Était-ce mal faire que recevoir ce cadeau ? Quoi d'insolite en ce don du président, qui avait protégé le ménage, et doté la fillette ? Séverine s'enferre dans son mensonge. Elle soutient que jamais elle n'a parlé de sa mère à propos de cette bague.
Son insistance étrange et l'embarras de ses dénégations, achèvent d'initier le mari. Il devient très pâle, ses traits se décomposent horriblement. Il jure, menace, et, les poings levés, marchant sur elle finit par crier : «Nom de dieu de garce ! tu as couché avec... couché avec !» Et il la presse d'avouer, menaçant de l'éventrer. La malheureuse, lasse et terrifiée, se décide enfin à laisser échapper l'aveu : «Eh bien, oui, c'est vrai, laissez-moi m'en aller !...»
La fureur du mari, ses brutalités, ses soufflements de fauve, ses questions pressantes, ses investigations douloureuses, les détails qu'il réclame, les torturantes et minutieuses circonstances qu'il exige, tout cela rythmé sourdement par le tapotement affaibli du piano des voisins d'en dessous, présente un tableau dramatique d'une intensité excessive.
Les accablements, les sursauts, les préoccupations du lendemain, les hantises du passé, les prostrations et les énergies soudaines, se succédant en son âme désespérée, achèvent ce tableau tourmenté d'un bonheur de mari naufrageant, avec le raccrochement désespéré de la vengeance entrevue. Roubaud crèvera l'homme. Il a son couteau sous la main, ce couteau fouillera la bedaine polissonne du président et, avec le sang qu'il en tirera, lavera la tache. C'est la farouche hantise des maris espagnols, des justiciers domestiques de Calderon, impitoyables
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