Emile Zola
le devoir de porter la hache dans ses oeuvres ? Il faut que le jugement public fasse balle sur la Terre, et ne s'éparpille pas, en décharge de petit plomb, sur les livres sincères de demain.
Il est nécessaire que, de toute la force de notre jeunesse laborieuse, de toute la loyauté de notre conscience artistique, nous adoptions une tenue et une dignité, en face d'une littérature sans noblesse, que nous protestions au nom d'ambitions saines et viriles, au nom de notre culte, de notre amour profond, de notre suprême respect pour l'Art !
PAUL BONNETAIN, J.-H. ROSNY, LUCIEN DESGAVES, PAUL MARGUERITTE, GUSTAVE GUICHES.
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C'était une réclame imprévue autant qu'audacieuse, ce manifeste. Enchantés de la publicité du Figaro que leur offrait le téméraire Bonnetain, les quatre exorcistes ne se rendirent pas compte de la singularité, et aussi de la naïveté de leur anathème. Il leur était permis individuellement, dans des articles isolés, de blâmer, de critiquer Zola. Ils eussent alors fait chorus avec les pompiers des salons et les prudhommes de la presse. Ils se montraient rétrogrades et amis du poncif, mais ils ne s'affirmaient pas comme des étourneaux voletant à l'aventure, et se brisant le bec sur l'armature solide d'un phare éblouissant.
Ces écoliers tapageurs étaient extraordinaires aussi en donnant à leur opinion la forme d'un manifeste, d'une déclaration de principes, presque d'un programme de parti. Ils semblaient parler au public, au nom de toute la littérature française. On remarquera deux des griefs principaux : Zola avait le tort d'habiter la campagne, et de vendre beaucoup d'éditions ! Et puis, n'est-ce pas à pouffer, cette protestation «au nom d'ambitions saines et viriles», rédigée par l'onaniste Bonnetain, et quel rire doit s'emparer aujourd'hui de Descaves ou de Rosny, quand ils se souviennent qu'ils ont contresigné «la tenue et la dignité» de la littérature de Charlot s'amuse.
Ce qu'il y avait de plus cocasse dans l'excommunication, c'est que les cinq n'étaient pas du tout de l'église de Médan. Ils n'avaient pas été admis à l'honneur et à la gloire des fameuses soirées. Ils procédaient comme les sociétaires du club des pieds humides, qui décréteraient que tel membre du Jockey devrait être exclu comme indigne et malpropre. Si les «zolistes», le groupe des Provençaux amis de la première heure, Baille, Cézanne, Marius Roux, si les peintres et les romanciers célèbres qui, dès l'apparition des Rougon-Macquart, firent une escorte d'honneur à l'auteur, Manet, Guillemet, Alphonse Daudet, avaient refusé de frayer désormais avec le pornographe de la Terre, si enfin les disciples mêmes, les cinq de Médan, les vrais Cinq ceux-là, Maupassant, Huysmans, Hennique, Céard, Paul Alexis, avaient renié leur maître, abandonné leur ami, la condamnation aurait pu paraître injuste, absurde, mais ceux qui l'eussent prononcée n'auraient pu être récusés, comme incompétents. Leur juridiction eût été abominable, mais régulière.
Ces justiciers eussent paru des ingrats, mais non des réclamistes prétentieux, un peu cyniques. Ces cinq écrivains, alors peu connus, car ils venaient seulement de publier leur premier livre, sans grand éclat, sauf le Charlot qu'on sait, expulsant Zola de la littérature au nom de la morale outragée, c'était vraiment raide, et le fait, comme bizarrerie, mérite d'être conservé.
Émile Zola accepta, avec philosophie, ce sévère et ridicule verdict. Comme un journaliste lui demandait ce qu'il pensait de l'excommunication, il répondit avec la tranquillité de l'archevêque de Paris, à qui des membres de l'armée du salut auraient lancé l'anathème et refusé la communion :
-Je ne sais, dit-il au rédacteur du Gil-Blas venu l'interviewer à Médan, ce qu'on pense, à Paris, de cette protestation, qui m'a valu un grand nombre de lettres très bienveillantes de la part de confrères ; mais je sais que, pour ma part, j'en ai été stupéfié.
Je ne connais pas ces jeunes gens... Ils ne font pas partie de mon entourage ; ils ne se sont jamais assis à ma table ; ils ne sont donc pas mes amis. Enfin, s'ils sont mes disciples,-je ne cherche point à en faire,-c'est bien à mon insu.
Mais, n'étant ni mes amis, ni mes disciples, pourquoi me répudient-ils ? La situation est originale, il faut en convenir. C'est le cas d'une femme avec qui vous n'auriez
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