Emile Zola
judiciaire, Zola s'est révélé, en ce genre pour lui nouveau, expert.
À l'action criminelle, se juxtaposent un drame passionnel et une sorte de synthèse psychologique des théories de Cesare Lombroso, sur l'«Uomo deliquente», l'homme criminel, la bête humaine, le sauvage primitif, l'anthropoïde cultivé, le quadrupède redressé. Roubaud échappe à la justice. On soupçonne un carrier nommé Cabuche, être inquiétant d'allures, bouc-émissaire des crimes mystérieux dans la contrée, une ressource pour la justice dans l'embarras. Mais quelqu'un peut témoigner de la vérité, Jacques, l'homme qui a vu. Roubaud devient l'ami de Jacques. Il ne peut se séparer de lui. Il en fait son commensal, son intime, et lui jette sa femme dans les bras. En même temps, une sorte de démon de la perversité le pousse à fréquenter le commissaire de police.
Le souvenir de Raskolnikof de Crime et Châtiment se dresse ici. Zola, toutefois, n'a pas cru devoir pousser, aussi loin que le romancier russe, cet irrésistible besoin du coupable de se rapprocher de ceux qui peuvent surprendre et punir son crime. Dostoïewsky a tiré de puissants effets de cette poussée folle et nuisible de la conscience. Zola n'a fait que l'indiquer. En revanche, il a développé largement les amours de Séverine et de Jacques.
Un fou, un monstre, ce Jacques. Plus terrible que ce maniaque, jugé il y a quelques années, qui s'amusait à piquer les jolies passantes avec un stylet, ou que le bijoutier, dont les plaisirs amoureux consistaient à transformer en pelotes à épingles les seins martyrisés des malheureuses qu'il entraînait, en leur jetant des billets de banque pour panser leurs plaies. Ce sadique Jacques a, devant les femmes, les tentations meurtrières que Papavoine manifestait en face de la chair moite et blanche des petits garçons. Il ne veut pas abuser des belles, mais il meurt d'envie de les égorger. Il rêve des voluptés non pareilles, à l'idée de plonger une lame dans le corps de sa maîtresse. Parfois, il lui prend aussi l'envie de tuer la première femme rencontrée. Il suit même une passante, en chemin de fer, dans ce but, s'installe avec elle dans un compartiment, et ne renonce au plaisir promis que par suite de l'entrée d'une dame, une gêneuse, qui dérange la partie de meurtre projetée. Il se dédommage bientôt en assassinant Séverine, sans avoir, Antony de cabanon, l'excuse de la résistance.
Ce goût du sang, cette appétence du meurtre pour le meurtre, ne sont que d'inexplicables déviations de la raison humaine. Toutes les considérations des criminologues fatalistes de l'école italienne ne pourront ôter à ces monstres le caractère, heureusement exceptionnel, qui les signale au médecin, encore plus qu'au juge. Ils ne semblent guère intéressants pour le romancier, pour l'artiste. Ce sont des impulsifs, des inconscients, et ils relèvent surtout de l'aliéniste.
Zola tente de raisonner ainsi la folie de son maniaque : comme à d'autres il suffit, pour se sentir le sang en feu et les nerfs tendus, de surprendre moulant la jambe, un bas noir ou violet, Jacques éprouve le rut du meurtre devant toute peau nue.
Un soir, il jouait avec une gamine, la fillette d'une parente, sa cadette de deux ans ; elle était tombée, il avait vu ses jambes, et il s'était rué. L'année suivante, il se souvenait d'avoir aiguisé un couteau pour l'enfoncer dans le cou d'une autre, une petite blonde qu'il voyait chaque matin passer devant sa porte. Celle-ci avait un cou très gras, très rose, où il choisissait déjà sa place, un signe brun sous l'oreille...
Musset décrit ces tentations-là, mais moins sanglantes, quand, au théâtre Français «où l'on ne jouait que Molière», il découvrait «un cou blanc délicat qui se plie, et de la neige effacerait l'éclat». Jacques, lui, au théâtre, éprouve la furieuse envie d'éventrer une jeune femme, une nouvelle mariée assise près de lui, qui rit très fort. Et la question se pose alors :
Puisqu'il ne les connaissait pas, quelle fureur pouvait-il avoir contre elles ? Car, chaque fois, c'était comme une nouvelle crise de rage aveugle, une soif toujours renaissante de venger des offenses très anciennes dont il avait perdu l'exacte mémoire. Cela venait-il donc de si loin, du mal que les femmes avaient fait à sa race, de la rancune amassée de mâle en mâle depuis la première tromperie, au bord des cavernes ?
C'est peut-être faire remonter un
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