Emile Zola
plutôt périlleuses ?
Disons d'abord que l'on ne peut maintenant connaître les causes exactes de l'immense désastre, ni apprécier, pour ainsi dire scientifiquement et physiologiquement, l'effondrement de Sedan. Nous sommes beaucoup trop près du sinistre. Ce n'est pas quand le sol frémit encore qu'on peut, avec sérénité, étudier les origines d'une commotion sismique. Les survivants de la catastrophe, au nombre desquels était Zola, ont gardé l'ébranlement dans les nerfs de la secousse, et cela fait trembler les mains tenant la plume, comme l'instrument vacillerait entre les doigts du savant penché sur le cratère fumant, grondant, après l'éruption. Il faut laisser à la brûlante terre le temps de se refroidir, pour en reconstituer les éléments, avant et pendant la conflagration.
Malgré la conscience avec laquelle Zola s'est documenté, et la patience dont il a usé pour se renseigner, auprès des hommes compétents, auprès des acteurs et des témoins contemporains, on ne saurait lui demander d'avoir d'une façon infaillible précisé, dans la Débâcle, les explications de l'inattendue et déraisonnable déroute. L'imprévoyance des chefs militaires, le désordre de l'administration, la rivalité des généraux, la disproportion des forces en présence, l'armement inférieur, la préparation militaire insuffisante, la maladie de l'empereur, commandant en chef, et sa faiblesse comme général d'armées, voilà sans doute des causes incontestées de la défaite.
Il en est d'autres. Parmi les facteurs importants de notre désarroi, il faut indiquer les mouvements de troupes inutiles ou fâcheux, les marches sans but, les contre-marches sans raisons, et aussi la lenteur des premières opérations. Le Français est combattant d'avant-garde. L'offensive est sa meilleure tactique. Il se bat vaillamment sur son territoire, mais alors il ne compte plus sur la victoire. C'est sur le sol ennemi qu'il reprend tous ses avantages. Il nous était facile, au lendemain de la parade de Sarrebrück, de franchir la frontière et de porter la guerre en Allemagne. Pourquoi s'est-on arrêté, et quelle raison stratégique raisonnable donner de cette halte, l'arme au pied, qui a émasculé les courages, désorganisé les armées, et permis à l'ennemi de rassembler toutes ses forces, puis d'envelopper nos troupes, moins nombreuses ? On croit savoir qu'une illusion diplomatique dicta cet atermoiement, qui fut mortel. On comptait, dans les conseils du gouvernement, sur une intervention de l'Autriche, désireuse de prendre sa revanche de Sadowa, et aussi sur une alliance de l'Italie, acquittant la dette de reconnaissance de 1859. L'Autriche, affaiblie et craintive, se soumettant à l'abaissement que Richelieu et Napoléon avaient tant poursuivi, que Bismarck avait pu réaliser, se soumit à la Prusse, ne bougea pas. L'Italie se rangea du côté qu'elle devinait devoir être le plus fort. Victor-Emmanuel, notre ami de Magenta, le caporal de grenadiers de Palestro, apprenant la défaite de Wissembourg, au spectacle, dit à sa maîtresse, la belle marquise : «Je l'ai échappé belle ! j'allais envoyer cent mille hommes à Napoléon !» La France demeura seule, et elle avait perdu un temps inestimable à attendre le secours italien, à hésiter à envahir l'Allemagne par le sud, de peur de jeter l'empereur d'Autriche dans les bras de son bon frère Guillaume.
Il y était déjà.
Zola a indiqué tout cela. La Débâcle a fourni le maximum de vérité qu'on peut connaître et divulguer, à une époque contemporaine.
Il existe toute une légende sur la guerre de 1870. Zola très nettement en a dissipé, en partie, les brumes.
Ainsi, c'est un lieu commun que de prétendre que nous ayons succombé sous l'amas du nombre. Ceci est un préjugé militaire. Les énormes armées n'ont jamais la victoire assurée. Les foules militaires, terribles dans le succès, sont lamentables lors de la défaite. Elles sont surtout disposées aux formidables paniques. Ce sont les petites armées, qui ont presque toujours remporté les grandes victoires, et auxquelles la retraite est aisée et le retour offensif possible.
Les généraux, a-t-on dit aussi, étaient jaloux les uns des autres, vieillis, ramollis, incapables. Est-ce que les vainqueurs étaient dans une posture meilleure ? Le major général de Moltke était-il un jouvenceau ? croit-on que ces feld-maréchaux, ces généraux, ces colonels de l'armée allemande furent tous des
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