Emile Zola
accueilli l'un des meilleurs romans de Zola, la Débâcle ? Comment accepter ces accusations de «traîner l'armée dans la boue», alors qu'il avait peint l'exact tableau de cette fatale époque ?
Non, après avoir relu la Débâcle, j'y vois bien peu de tableaux à retoucher, bien peu de jugements à réformer, et j'y trouve des descriptions superbes. Dimanche, à l'heure où l'éloquence de M. Chaumié coulait sur le cercueil, pareille à la froide pluie de la veille, je parcourais les lettres de Zola, quand il préparait son roman militaire. Je me rappelais ses arrivées subites à mon cabinet, pour me demander des renseignements, et, surtout, mes stations prolongées rue de Bruxelles, où, penché au-dessus des cartes, je répondais à ses questions stratégiques et tactiques.
Eh bien, je dois l'avouer, il ne me parut guidé que par le désir de dire vrai sur les hommes et sur les choses, et je ne pus saisir en lui la moindre haine de l'armée. Il comprenait les questions avec une rapidité surprenante et, toujours, s'arrêtait à la solution juste.
Aussi bien, ce livre affreux enseigne que, sans la discipline, on ne saurait vaincre : «Si chaque soldat se met à blâmer ses chefs et à donner son avis, on ne va pas loin pour sûr.» Il flétrit Chouteau le «pervertisseur, le mauvais ouvrier de Montmartre, le peintre en bâtiments, flâneur et noceur, ayant mal digéré les bouts de discours entendus dans les réunions publiques, mêlant des âneries révoltantes aux grands principes d'égalité et de liberté». Et, encore : «Malheur à qui s'arrête dans l'effort continu des nations, la victoire est à ceux qui marchent à l'avant-garde, aux plus savants, aux plus sains, aux plus forts !» Et, enfin : «Jean était du vieux sol obstiné, du pays de la raison, du travail et de l'épargne.»
Au point de vue technique, Zola reconnaît que la marche de Châlons sur Metz était pratique le 19 août, possible, mais aventureuse le 23, «un acte de pure démence» le 27. Et comme il s'élève contre le stupide abandon des collines dominant Sedan, aux environs de Saint-Menges, Givonne, Daigny, La Moncelle ! À propos de la retraite vers Mézières, prescrite le 1er septembre à huit heures du matin par Ducrot,-qui n'avait cessé de critiquer tout et tous, et qui, mis au pied du mur, se montrait au-dessous de tout et de tous,-je vois encore Zola me désignant, du doigt, sur une carte prussienne où étaient notées les positions de tous les corps d'armée, le défilé de Saint-Albert, et me disant :
-Mais Ducrot, avant de donner ses ordres, n'avait donc pas envoyé un cavalier pour savoir si les Allemands ne se trouveraient point à Vrigne-aux-Bois ?
Non, la Débâcle n'est pas un mauvais livre, car on ne saurait guérir une plaie sans la voir, sans la sonder ; c'est une oeuvre forte et saine. Il faut être juste envers tout le monde, même envers ceux qui vous ont fait le plus de mal.
Cette calme et impartiale apologie de l'auteur de la Débâcle, cette mise au point de ses sentiments sur l'armée, cette infirmation de tant d'arrêts injustes et injustifiés de la presse, répercutés dans l'opinion, paraissait dans la Patrie, organe de la Ligue des Patriotes, et dont le directeur Émile Massard est en même temps le rédacteur en chef de l'Écho de l'Armée, journal non seulement patriote, mais militariste, étant pour l'Armée ce que la Croix est pour l'Église, et celui qui signait cette loyale déclaration, M. Alfred Duquet, était l'adversaire politique de Zola et un violent anti-dreyfusard.
Pour tout lecteur de bonne foi, et non aveuglé par la passion de parti, l'affaire de la Débâcle est jugée définitivement. C'est un livre d'histoire sévère, où les nôtres ne sont pas flattés, sans doute, mais où les ennemis sont dénoncés et flétris dans leurs actions atroces, où l'historien a cherché et su trouver presque partout la vérité. Toute vérité n'est pas bonne à dire, affirme la sagesse des nations. Dans un salon, c'est possible, c'est prudent surtout, mais l'histoire ne doit connaître ni la politesse ni l'hypocrisie.
Pour achever de faire toute la lumière sur les ténèbres que l'hostilité et l'indignation envers Zola, homme de parti, ont projetées sur Zola écrivain, l'historien subissant injustement la réprobation de certaines consciences qui visait le défenseur de Dreyfus, je reproduirai, magnifique profession de foi bien française et
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