Emile Zola
l'uniforme admis, qui autorise l'usage des armes contre les bandits qui viennent tuer, piller et brûler chez vous.
Ce capitaine, qui protégeait, en 1892, l'armée française contre les coups que, paraît-il, lui portait Zola, de son cabinet de travail, avec les yeux troublés, disait-il, par de mauvaises lunettes, avait commandé à ses hommes, sans doute des amis de la France comme lui, d'arroser de pétrole les habitations de Bazeilles, et d'en faire des torches, à la lueur desquelles on fusillerait plus commodément les prisonniers.
Voilà le champion de l'honneur français. Toute la presse reproduisit avec admiration le réquisitoire du Bavarois. On célébra à l'envi la magnanimité de cet ennemi chevaleresque, rendant un public hommage à ceux qu'il avait battus, les qualifiant tous de redoutables adversaires, et ne voulant voir parmi ces vaincus que des héros.
La presse fut-elle donc dupe de cet accès de générosité ? Ne vit-on pas, dans cet éloge des Français, ce qu'il y avait réellement, un hyperbolique hommage aux Allemands ? En grandissant les vaincus, le Bavarois haussait encore les victorieux, dont il était. L'armée française était, il le proclamait, la première du monde. Eh bien ? et l'armée allemande ? Évidemment, elle devait encore être placée au-dessus, hors concours. En contestant les infériorités, les paniques, les divagations des troupes en marche, l'esprit d'indiscipline et de démoralisation des adversaires, l'officier allemand affirmait sa supériorité et celle de ses hommes, il établissait l'incontestable super-excellence de ceux qui avaient fini par avoir raison d'une armée aussi bien organisée, aussi admirablement commandée, aussi parfaitement approvisionnée, et aussi capable et résistante que l'était l'armée de Mac-Mahon.
Puisqu'ils avaient pu triompher de combattants aussi formidablement préparés pour la victoire, les Allemands devenaient, selon l'expression de leur philosophe Nietzsche, des sur-soldats.
Le capitaine Tanera, en louangeant la France, ne faisait donc que le panégyrique de l'Allemagne. Il portait à la seconde puissance sa patrie, en donnant à la nôtre la valeur d'une unité. Il proclamait enfin, en reconnaissant la supériorité relative des races latines, l'absolue supériorité des races germaniques. Ce Bavarois se moquait de nous avec ses compliments. Il nous faisait très grands, pour se montrer plus grand que nous, puisque nous étions à terre, et qu'il nous piétinait. La France, haute encore, mais assommée, faisait un piédestal géant à la géante Germania. Nos journalistes, surtout pour faire pièce à l'auteur de la Débâcle, prirent pour argent comptant les grosses flatteries du capitaine allemand.
Zola répondit à ce malin Bavarois. Dans le Figaro, qui avait, le premier, publié la lettre du capitaine Tanera, parut la réplique.
Plusieurs questions techniques et de détail avaient été discutées par le capitaine, Zola opposa ses documents, ses renseignements, sa sincérité :
J'espère, écrivit-il, qu'on me fait au moins l'honneur de croire que, pour tous les faits militaires, je me suis adressé aux sources. Après la défaite, chaque chef de corps, voulant s'innocenter, a publié ou fait publier une relation détaillée de ses opérations. Nous avons eu ainsi les livres des généraux Ducrot, Wimpffen, Lebrun, et, si le général Douai s'est abstenu, c'est qu'un de ses aides de camp, le prince Bibesco, a écrit sur les mouvements du 7e corps un ouvrage extrêmement remarquable, dont je me suis beaucoup servi.
Ayant ainsi justifié ses affirmations d'ordre stratégique, et cité ses auteurs, Zola, animé d'une grande et légitime indignation, proteste contre la naïveté avec laquelle, dans la presse française, on a paru accueillir les hypocrites éloges d'un officier allemand, brûleur de maisons et tueur de femmes, à Bazeilles.
Il faudrait vraiment être bien nigaud pour accepter, dit alors Zola, de tels éloges, derrière lesquels se cache un soufflet si insultant à la patrie française ! Eh bien ! non, il n'est pas vrai que tout le monde ait fait son devoir. L'histoire a ouvert son enquête, la vérité maintenant est connue et doit se dire. Oui, il y a eu des soldats qui, dans l'affolement de la défaite, ont jeté leurs armes ; oui, nos généraux, si braves qu'ils fussent, se sont presque tous montrés des ignorants et des incapables ; oui, nos régiments ont crié la faim, se
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