Emile Zola
dans son livre, transportée dans la réalité.
Avec Paris, Zola terminait la trilogie philosophique, où il avait gradué les efforts et les luttes de l'humanité, concentrés dans trois villes, pour s'élever de la superstition grossière à la religion habile et trompeuse, et enfin à la science, au travail, à la justice sociale. Sa conclusion, qui est la doctrine socialiste même, était l'homme recevant enfin le salaire de bonheur qu'il est en droit d'attendre, et qui doit lui être versé comptant, sur la terre, de son vivant, comme un dû ferme, et non en manière d'aumône, ou sous la forme d'une traite illusoire payable à la caisse d'un chimérique banquier céleste.
VII - L'AFFAIRE DREYFUS.-L'EXIL EN ANGLETERRE.-LES ÉVANGILES : FÉCONDITÉ. -TRAVAIL.-VÉRITÉ (1898-1902)
L'affaire Dreyfus a commencé le 15 octobre 1894, jour où le capitaine, soupçonné, surveillé, fut arrêté.
Cette poursuite, menée avec discrétion, ne fut connue que quinze jours après, et encore fut-ce par une information imprécise. Sans donner de nom, sans détails, le journal la Libre Parole, assurément renseigné, mais incomplètement, dans son numéro du 1er novembre 1894, annonçait qu'une affaire d'espionnage était à la veille d'éclater, à la suite de fuites constatées dans les bureaux de l'État-Major.
Les événements se succédèrent rapidement dès cette révélation. Bientôt le nom de l'accusé était prononcé, imprimé, et le premier procès Dreyfus s'engageait devant le conseil de guerre. Zola ne prit aucune part à cet initial engagement.
N'écrivant ici qu'une histoire littéraire, je ne rappellerai de ce formidable et douloureux litige que ce qui est indispensable à l'éclaircissement des idées et des faits pour cette Étude impartiale sur Zola.
Bien qu'ayant été au nombre des militants, et à l'un des premiers rangs, -je fus l'un des rares journalistes poursuivis à cette époque, ayant été frappé d'une condamnation, qui parût énorme et disproportionnée, de cent mille francs de dommages civils (après l'amnistie somme réduite en cour d'appel à 20.000 francs), je ne veux ni récriminer ni recommencer de rétrospectives escarmouches. Je n'ai gardé, de ce combat qui fut acharné, sans merci, de part et d'autre, qu'un grand sentiment de tristesse. Le pays ne fut pas seulement déchiré, le foyer domestique devint souvent une annexe du champ de luttes, plus d'un coeur fut meurtri, et des inimitiés surgirent qui se prolongèrent.
Des vieux amis se sont séparés, et ne se sont plus depuis retrouvés. De secrètes vendettas se produisirent. Il faut déplorer cette maladie, ce cancer dont la France fut atteinte, et, à présent que ces temps de souffrance sont lointains, les oublier, si faire se peut, et ne plus appuyer sur les cicatrices de peur de les rouvrir. Je vais me borner à signaler le rôle considérable de Zola dans ce grand et ténébreux drame.
Sans être autrement troublé, il avait, comme tout le monde, appris et accepté la condamnation de Dreyfus par le premier Conseil de guerre siégeant au Cherche-Midi, à Paris, le 20 décembre 1894. Alfred Dreyfus, sans que Zola protestât, subit la dégradation militaire et fut envoyé à l'Île du Diable. Il y séjourna trois ans, soumis à un régime très sévère.
Il convient de constater que, soit dans la cour de l'École militaire, pendant la terrible cérémonie de la dégradation, soit à l'Île du Diable, soit encore en écrivant à sa femme, ou en adressant mémoires, requêtes et recours au président de la République, aux magistrats et à ses défenseurs, le condamné n'a cessé de protester de son innocence. Des confidences qu'on dit avoir été faites au capitaine Lebrun-Renault n'ont pas été vérifiées.
Le procès-verbal rédigé par cet officier de gendarmerie, sa pénible mission remplie, et transmis à ses chefs ne contient pas trace de ces aveux. La chose était assez importante pour que l'officier n'eût pas manqué de consigner les révélations que le dégradé, sous l'impression du châtiment, et dans la dépression qui en était la conséquence, aurait été amené à faire.
Après l'embarquement du condamné, et son isolement à l'Île du Diable, un grand silence se fit. Personne, dans le monde politique, dans l'armée, dans la presse, dans le gros public, ne semblait mettre en doute alors le bien rendu de l'arrêt, la légitimité de la condamnation. Il est certain que Zola, comme nous, admettait la
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