Emile Zola
Paris qu'on vient de lire, où il revendique le droit au bonheur terrestre, au paradis viager, pour le travailleur, pour le pauvre, si longtemps berné par la promesse mensongère, analogue à l'enseigne fallacieuse du barbier, de la félicité du lendemain, de la consolation dans un ciel chimérique qui ne saurait avoir sa place sur une carte astronomique, ne retrouve-t-on pas les termes mêmes de la déclaration retentissante que devait lancer, dix ans plus tard, à la tribune, le ministre du Travail, René Viviani :
Tous ensemble, par nos pères d'abord, par nos aînés ensuite et par nous-mêmes, nous nous sommes attachés à l'oeuvre d'anticléricalisme et d'irréligion. Nous avons arraché la conscience humaine à la croyance de l'au-delà. Ensemble, d'un geste magnifique, nous avons éteint dans le ciel des lumières qu'on ne rallume pas. Est-ce que vous croyez que l'oeuvre est terminée ! Elle commence. Est-ce que vous croyez qu'elle est sans lendemain ? Le lendemain commence.
Qu'est-ce que vous voulez répondre à l'enfant qui aura profité de l'enseignement primaire et des oeuvres post-scolaires, et qui, devenu homme, confrontera sa situation avec celle des autres hommes ?
Qu'est-ce que vous voulez répondre à l'homme à qui nous avons dit que le ciel était vide de justice, que nous avons doté du suffrage universel, et qui regarde avec tristesse son pouvoir politique et sa dépendance économique, et qui est humilié tous les jours par le contraste qui fait de lui un misérable et un souverain ?...
Avec des accents délirants et superbes, avec l'enthousiasme du poète, devançant les temps, et, comme ces conventionnels qui, la veille du combat, décrétaient la victoire, Zola, prophète, Zola, précurseur, salue les âges qui viendront, où le royaume de Dieu promis sera sur la terre. La religion de la science sera tout le dogme. Le seul Évangile sera celui de Fourier : le Travail Attrayant, accepté par tous, honoré, réglé, comme le mécanisme de la vie naturelle et sociale, comme le moteur de l'organisme humain, avec la satisfaction aussi complète que possible des besoins de chacun, et l'expansion de toutes les forces et de toutes les joies ! Et il proclamait Paris centre et cerveau du monde, Paris, qui, hier, jetait aux nations le cri de Liberté, leur apporterait demain la religion de la science, la Vérité et la Justice, la foi nouvelle attendue par les démocrates.
Ce livre de Paris, inférieur, au point de vue de l'oeuvre artiste et de la fabrication littéraire, aux principaux ouvrages de Zola, leur est supérieur par la portée philosophique, par l'essor humanitaire.
En outre, il constitue, dans sa partie finale, l'oeuvre transitoire. Fécondité, Travail, Vérité, les derniers livres de Zola, sont issus de ce nouvel état d'esprit que tout à coup révélait Paris, et qui n'allait pas tarder à se manifester à l'occasion de la révision du procès Dreyfus.
Sans cette préparation, sans cette incubation de l'Évangile socialiste, sans cette appétence vers un idéal nouveau d'humanité heureuse et de conditions d'existence plus justes, avec la paix sociale établie définitivement sur les ruines de l'ancienne organisation sacerdotale, guerrière, capitaliste, abattue, l'intervention d'Émile Zola dans l'affaire Dreyfus, qu'on doit regretter, mais qu'il faut reconnaître sincère et désintéressée, serait inexplicable, un coup de tête, presque de folie.
Or, étant données la situation mentale de l'auteur de Paris et les préoccupations neuves qui tenaillaient son esprit, il était logique et fatal, puisqu'il s'était produit une «affaire Dreyfus», puisque le pays était divisé en deux camps, que Zola fût dans un de ces camps. Avec son âme combative et son exaltation méridionale et nerveuse, il était également logique, et c'était comme une conséquence de la position des partis en présence, qu'il se mît du côté de ceux qui s'agitaient pour faire reconnaître l'innocence d'un condamné qu'ils proclamaient victime d'une erreur judiciaire, et qu'ils estimaient succombant sous les efforts combinés de ceux qui obéissaient à des préjugés religieux, ou qui voulaient maintenir intact le dogme d'infaillibilité d'un tribunal d'exception.
Zola, bien que Paris fût écrit et publié avant que la reprise de l'Affaire n'éclatât, prévoyait, prophétisait la lutte qui allait s'engager. L'Affaire Dreyfus, c'était la bataille qu'il avait indiquée
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