Emile Zola
cérémonie d'inauguration de la Maison de Médan, donnée à l'Assistance Publique, la veuve de Zola avait auprès d'elle ces deux enfants du sang de son mari, Jacques et Denise, devenus ses enfants adoptifs à elle, les enfants du coeur et de la bonté.
Les promenades à bicyclette de son abbé Froment, en compagnie de Marie, que Zola décrit si complaisamment, les randonnées à travers la forêt de Saint-Germain, vers la croix de Noailles et la route d'Achères, dont il donne un si joli croquis, c'étaient des souvenirs. À près de cinquante ans, il s'était trouvé rajeuni par cet amour, et par ces escapades sur la frêle et commode monture d'acier.
Marie refaisait de lui,--de son abbé Froment, si l'on s'en tient à la lettre du texte, l'homme, le travailleur, l'amant et le père... il était changé, il y avait en lui un autre homme. En lui, qui s'obstinait sottement à jurer qu'il était le même, lorsque Marie l'avait transformé déjà, remettant dans sa poitrine la nature entière, et les campagnes ensoleillées, et les vents qui fécondent, et le vaste ciel qui mûrit les moissons...
Un nouvel homme s'était formé en lui, et Zola semblait vivre d'une autre vie physique et morale. L'idée double de paternité et de fécondité avait surgi, puissante. Ce grand producteur d'idées, de faits, de sentiments et d'observations, ce créateur d'êtres fictifs, doués d'une existence plus forte et surtout plus durable que les individus de sang et de chair, aspirait à la joie et à la nouveauté de donner la vie à des êtres palpitants, de féconder et d'animer, non plus la pensée abstraite et les fils de son cerveau, mais une femme, une mère et d'avoir des enfants, de la matière vivante sortie de lui, perpétuant sa force, en reproduisant, à leur tour, par la suite, les germes fertilisants dont il leur aurait transmis le dépôt sacré.
Ce désir fut accompli. Mais alors, simultanément, un changement se produisit dans l'intellect, dans le génie de l'écrivain. Il s'éprit des problèmes de la destinée des hommes. Il rêva d'un avenir meilleur. Il évoqua une révolution, non point par la bombe et par la guerre civile, mais obtenue par la science, par l'instruction répandue à flots, par l'abolition des institutions du passé, par la paix entre les peuples, et l'amour entre les hommes. Il avait, jusque-là, passé plutôt indifférent à côté des problèmes sociaux. L'Assommoir était surtout une mercuriale sévère à l'adresse des travailleurs enclins à l'ivrognerie. Germinal, magnifique tableau du monde souterrain, pitoyable vision de la misère du mineur, n'indiquait nullement la solution socialiste de la mine devenant la propriété de ceux qui la fouillent. La Terre, tableau sombre de la cupidité et de l'opiniâtre labeur des paysans, ne contenait pas la formule de la culture en coopération, de la suppression du travail individuel, et n'annonçait pas l'avènement de la grande et profitable exploitation du sol en commun.
Devant toutes ces visions de l'avenir, les yeux de Zola, si perçants pour discerner les moindres détails d'une matérialité observée, étaient couverts d'une taie. Brusquement, il parut avoir été opéré d'une cataracte intellectuelle. Ses prunelles s'emplirent d'une clarté nouvelle.
Il devint clairvoyant dans les ténèbres de la question sociale. Tout son esprit fut inondé de la lumière de la vérité, et sa volonté se banda vers la justice. L'idéal des sociétés futures lui apparut, comme une terre promise et certaine, où il ne parviendrait pas, mais que les générations qui le suivraient, plus favorisées, certainement atteindraient. Et c'est parce qu'il voyait, au-devant de lui, cette terre lointaine, c'est parce qu'il la sentait le domaine promis aux hommes des temps qui succéderaient aux années de luttes, de misère, d'oppression et d'antagonisme, qui sont les nôtres, qu'il voulait obstinément avoir un enfant, un fils de la chair, c'est pour cet héritage de l'avenir qu'il voulait laisser de la graine d'êtres heureux, après lui, sur le sol, et aussi un livre, un enfant de l'esprit, témoignant de sa foi, de son espérance, de sa charité sociales, un héraut précurseur des vertus théologales de la démocratie future.
C'était peut-être, c'est actuellement un rêve et une utopie. Mais l'utopie était généreuse et le rêve était consolant. Les lectures de Zola n'avaient eu, jusque-là, aucune direction politique ou sociologique, car
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