Emile Zola
variables, dans Une Page d'Amour.
La critique lui en reprochait la répétition et la monotonie :
J'ai pu me tromper, dit-il, dans son article sur la Description, et je me suis trompé certainement, puisque personne n'a compris ; mais la vérité est que j'ai eu toutes sortes de belles intentions, lorsque je me suis entêté à ces cinq tableaux de même décor, vu à des heures et dans des saisons différentes.
Voici l'histoire : dans la misère de ma jeunesse, j'habitais des greniers de faubourgs d'où l'on découvrait Paris entier. Ce grand Paris immobile et indifférent, qui était toujours dans le cadre de ma fenêtre, me semblait comme le témoin muet, comme le confident tragique de mes joies et de mes tristesses.
J'ai eu faim et j'ai pleuré devant lui, et, devant lui, j'ai aimé, j'ai eu mes plus grands bonheurs. Eh bien ! dès ma vingtième année, j'avais rêvé d'écrire un roman dont Paris, avec l'océan de ses toitures, serait un personnage, quelque chose comme le choeur antique... C'est cette vieille idée que j'ai tenté de réaliser dans Une Page d'Amour. Voilà tout...
Ainsi, sa misère, et le dénûment de son logis aérien, lui inspiraient seulement l'idée d'un décor, d'un «choeur» formidable, la Ville avec ses yeux de pierre regardant le drame intime qui se déroulait dans une petite chambre où souffraient trois ou quatre créatures. En grelottant dans son galetas, il songeait à se documenter, et il s'échauffait à combiner un roman futur.
Il cherchait alors sa voie, comme on dit, mais il avait la certitude de la trouver.
Ce qu'il lui fallait d'abord rencontrer, c'était ce fameux emploi, après lequel nous l'avons vu courir inutilement, mais sans ardeur excessive. Il ne vivait pas avec sa mère ; il tirait d'elle encore quelques subsides. Il s'en estimait quelque peu honteux. Il fallait sortir de cet enlisement. Il eut des velléités de résolutions désespérées. «Sans ma mère, je me serais fait soldat !» écrivait-il à un ami.
C'était l'époque où un homme valait de quinze cents à deux mille francs. Zola «se vendant» pour manger et pour épargner les minces ressources de sa maman, c'est une note attendrissante.
Il est probable qu'au moment de signer ce servage de sept ans, sa main eût hésité. Il ne pouvait sérieusement songer à troquer la plume contre le fusil à piston. Et puis, il avait été réformé, et on ne l'eût pas admis à contracter un engagement. Il dut réagir contre cette dépression, et le hasard lui vint en aide. Un ami de son père, M. Boudet, membre de l'Académie de Médecine, lui procura l'accès de la maison Hachette. Pour lui permettre d'attendre l'époque de son entrée en place, cet excellent homme dissimula un secours urgent sous l'apparence d'un travail. Bien modeste travail, et peu littéraire. Il s'agissait de porter à domicile les cartes de jour de l'an de l'académicien.
En janvier 1862, Zola était accepté dans l'importante maison Hachette. On lui assignait son emploi au bureau du matériel. Ses appointements furent fixés à cent francs par mois. Cela lui permettait de vivoter. Il lui restait quelques heures, matin et soir, en dehors du bureau, pour se livrer à ses occupations de prédilection : la rêverie et la composition de poèmes, de contes, également faiblards et ingénus. Il s'accommoda de cette situation.
Auparavant, il avait eu un emploi aux Docks. Il y était resté deux mois.
Le local sombre et malodorant, la besogne fastidieuse, les rapports pénibles avec le personnel et les chefs, la longue présence exigée, tout contribuait à le décourager, à le lasser.
Je ne m'amuse nullement aux docks, écrivait-il. Voici un mois que je vis dans cette infâme boutique et j'en ai, par Dieu ! plein le dos, les jambes et les autres membres... je trouve mon bureau puant et je vais bientôt déguerpir de cette immonde écurie...
Chez Hachette, le local était plus attrayant, la tâche moins rebutante.
Il changea assez rapidement de service, et fut attaché à «la publicité».
C'est une des divisions importantes de la maison Hachette. On s'y trouve en rapports quotidiens avec les auteurs, les directeurs de journaux, les critiques et les journalistes. Émile Zola fut un bon employé. Il avait des instincts d'ordre, des goûts de classement, des habitudes de ponctualité, qui, dans l'administration, dans le commerce, sont des qualités appréciées. Son bureau de commis de librairie devait être
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