Emile Zola
qu'une fois. En l'absence de M. Pailleron, alors étudiant, des camarades s'introduisirent dans sa chambre, volèrent le texte d'une pièce en un acte, et en vers, qu'il venait de terminer, et le portèrent à l'Odéon. Le directeur, La Rounat, accepta, joua l'acte, à la grande surprise du poète alors en voyage. C'était le Parasite, début de la fortune dramatique de l'auteur du Monde où l'on s'ennuie. Mais ces voleurs de manuscrits, et ces directeurs si prompts à jouer les inconnus, ne se rencontrent qu'une fois.
Comme pour la montagne de Mahomet, il faut faire le premier pas. Zola, s'enhardissant, s'introduisit dans le cabinet de M. Hachette absent, comme pour lui demander un renseignement de service. C'était le soir, veille de fête, avant la fermeture des bureaux. Le jeune commis avait l'émotion d'un filou visant le coffre-fort. Il déposa, cependant, résolument, sur le buvard de l'imposant patron, le rouleau qu'il dissimulait sous son vêtement. C'était le poème en trois chants, l'Amoureuse Comédie, dont nous avons parlé. Puis il se retira, sur la pointe du pied.
Il attendit, avec une vive angoisse, soit une lettre, soit une réponse verbale, en allant reprendre sa place, le lundi, à son bureau. Durant cette attente, il relisait mentalement son oeuvre, il en remâchait les apostrophes, il en ruminait les descriptions. Alors lui apparaissaient, grossis, éclatants, effrayants, des défauts jusque-là inaperçus.
Il eût souhaité reprendre son manuscrit. Qu'allait penser M. Hachette ? Qu'allait-il dire surtout ? Gronderait-il son employé d'avoir, pour ainsi dire, violé son home d'éditeur et son cabinet de patron ? Lui reprocherait-il le dépôt clandestin de ce poème ? Peut-être lui ferait-il comprendre, rudement, qu'il était dans la maison à titre de commis, et non d'auteur, et qu'au lieu de perdre son temps de liberté à écrivasser il ferait mieux de se reposer, afin d'être plus dispos en reprenant, le lundi, sa place au bureau. Les préoccupations littéraires ne devaient-elles pas lui ôter du zèle et de l'attention pour son service, qui, bien que se rapportant aux lettres, était avant tout labeur administratif et tâche commerciale ?
Ses transes prirent fin vers midi. M. Hachette le fit appeler. Une fois dans son cabinet, l'éditeur indiqua au commis, grave et se raidissant, le fauteuil auprès de son bureau. En le faisant asseoir, il le traitait donc, non plus en employé subalterne, mais en visiteur, presque déjà en auteur de la maison ? Du coup, Zola vit l'Amoureuse Comédie exposée aux vitrines des gares, dont les Hachette disposaient.
M. Hachette, avec amabilité, lui dit qu'il avait lu son recueil de poèmes, qu'il y avait constaté de la verve, du souffle et une certaine éloquence, mais qu'il ne croyait pas que la versification fût réellement dans «ses cordes». Les livres de vers, il devait le savoir, ne rentraient pas, d'ailleurs, dans le genre des publications de la maison.
Le grand libraire, pour adoucir ce que le refus d'éditer, implicitement contenu dans cette critique, pouvait avoir de pénible pour le jeune auteur, ajouta que l'Amoureuse Comédie révélait, malgré ses imperfections, du talent. Il engageait donc son employé-poète à renoncer, au moins provisoirement, aux rimes, et à écrire en prose. Pour le remettre tout à fait d'aplomb, car Zola avait chancelé sous ce coup rude, il lui demanda, à titre d'essai, un conte en prose pour le Journal de la Jeunesse, publié par la maison. En même temps, par un surcroît de bienveillance, il lui annonça que ses appointements, comme commis à la publicité, étaient portés à deux cents francs par mois. C'était la vie présente assurée et le rêve attrayant entièrement réalisé : gagner le pain nécessaire et avoir le loisir d'écrire, avec un éditeur en perspective.
Grâce à son tempérament régulier et ordonné, se pliant à la tâche quotidienne, ainsi qu'il devait le prouver pendant quarante ans de vie littéraire, Zola ne fut nullement un mauvais employé. Il ne se considérait pas comme autorisé, en sa qualité de poète, voué à la prose mercantile, et d'artiste enchaîné à un comptoir, à se soustraire aux obligations envers le patron, ni excusé d'expédier, par-dessous la jambe, la besogne pour laquelle il était rémunéré.
Il n'eut pas assurément le feu sacré du commerce, et il ne se signala point, aux yeux des directeurs de la librairie, comme un agent
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