Emile Zola
rédacteurs, en dissimulant des grimaces, firent bon accueil au nouveau venu. Les mains, une à une, se tendirent. Le protégé du patron, cependant, n'aurait qu'à bien se tenir. Ces poignées de mains, là, s'il n'était pas aussi fort qu'on le disait, se changeraient vite en étau, et l'on ne tarderait pas à lui serrer la vis !
Zola débuta donc ainsi, comme critique d'art, dans un journal très lu, très parisien.
J'ai cru devoir insister sur cette entrée de Zola dans la presse, parce que les circonstances qui l'ont accompagnée lui ont donné une importance capitale. De cette réussite, un peu inattendue, date la constante confiance en soi, qui a escorté Zola dans la vie, qui l'a protégé. Il avait bien, dès le collège, en ses songeries de jouvenceau, dans les ravines provençales, poussé de superbes défis à la Rastignac, et dit à la gloire : «À nous deux !» Mais ces cartels orgueilleux, quel jeune faiseur de vers, quel ébaucheur de romans, n'en a pas lancé ? La réalité brutale se charge de bientôt renfoncer ces fanfaronnades dans la gorge téméraire d'où elles sont sorties. Comme nombre de ses contemporains, comme beaucoup de débutants, avant et après lui, Zola se serait vite découragé, si ces appels à la fortune littéraire, à l'autre aussi, s'étaient perdus dans le tapage de la foule indifférente, ou regardant ailleurs. La plainte des Orientales est très en situation lorsqu'il s'agit de vocations poétiques : «Hélas ! que j'en ai vu périr de jeunes talents !» Ils ne mouraient pas tous, au sens physique, mais, en littérature, qu'ils sont nombreux les jeunes trépassés que j'ai connus ! Nous étions une quarantaine de ma génération, aux débuts du Parnasse, chez Lemerre. Combien ont remplacé, sagement d'ailleurs, la plume de l'écrivain par celle du bureaucrate, les livres de l'éditeur par ceux du commerçant, et les problématiques droits d'auteur par des appointements certains et la retraite sûre du fonctionnaire ! Qu'ils ont bien fait, les avisés compagnons ! Combien, souvent mal résignés, mais contraints par l'implacable isolement de l'insuccès, par la malchance ironique, par défaut de persévérance aussi, ont renoncé à «cultiver» les lettres, pour continuer à repiquer les choux de leurs parents, et ont cherché, dans quelque profession, moins hasardeuse que celle de jardinier en fleurs de rhétorique, le pain qui nourrit, la tranquillité qui engraisse.
Le point de départ de Zola fut particulièrement heureux, encourageant. Il est probable que, s'il eût échoué alors, il n'eût pas songé un instant à retourner à son rond de cuir de la librairie, mais il eût végété dans les bas travaux des revues et des périodiques. Il eût peut-être écrit des historiettes douceâtres dans des journaux de modes. Il n'eût fait que développer la série affadissante des Contes à Ninon. En débutant triomphalement au Figaro, il acquit, non pas la conscience de sa force, il la possédait de longue date, mais la démonstration pour autrui de son mérite. Il était établi qu'on devrait désormais compter avec lui. Par la suite, malgré un ralentissement dans sa montée, et un recul dans sa marche à la gloire, cette confiance en soi, ainsi justifiée, lui permit d'entreprendre la construction de son massif édifice et de le mener jusqu'au bout, jusqu'au faîte, sans défaillir, sans douter une minute du couronnement final.
Les articles de critique d'art de Zola, publiés sous ce titre exubérant de personnalité et d'orgueil : «Mon Salon», firent presque scandale. Le jeune critique, irrespectueux envers les réputations consacrées, célébrait des talents ignorés, et proclamait des noms inconnus. Ce fut là le premier manifeste de ce qui devait s'appeler, assez improprement d'ailleurs, «le Naturalisme». Les toiles de Manet n'avaient rien de «naturaliste», au sens fâcheux que, par la suite, on attribua à ce terme, c'est-à-dire à l'expression brutale, et souvent grossière systématiquement, de faits, d'actes, de tableaux et de sensations d'une intense matérialité.
Zola fut attaqué et vilipendé par la foule ameutée des peintres pompiers et des critiques prudhommesques. De part et d'autre, il y eut, comme toujours, exagération et parti pris. Les mépris excessifs que proclament, à l'égard des aînés, les nouveaux venus en art, sont toujours en proportion des admirations outrées pour les renommées établies.
Zola apparaissait
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