En Nos Vertes Années
tous
refusés. Si bien que ma fortune est scellée : je mourrai fille.
Après cela, je la regardai d’un
autre œil, fort étonné qu’une femme si belle et si riche pût attendre un sort
semblable. Et je me dis tout soudain que c’était grande pitié, à y songer d’un
peu près, que l’or commandât au destin de l’homme au lieu de lui obéir.
— Madame, dis-je d’un air
mi-sérieux mi-badin, si j’ai un jour cinquante mille livres de rente, et si je
vous agrée, j’oserais demander votre main, pour peu que vous cessiez de
dépriser la médecine, cet art divin.
— Divin, Monsieur ?
dit-elle en levant le sourcil.
— Si c’est Dieu qui nous donna
la vie, n’est-ce pas quelque chose d’approchant de la retenir quand elle nous
fuit ?
— La retenir, dit-elle, le
pouvez-vous ?
Je lui dis que oui, elle me dit que
non. On disputa sur ce ton quelques minutes encore et comme fille trouve
toujours plaisir à ce qu’on lui demande sa main, même en badinage, Aglaé
retrouva peu à peu sa gaieté et pour finir me dit :
— Allez, monstre, vous n’êtes
pas un monstre sans cœur. Vous vous attacherez à M me de Joyeuse et
vous lui serez un très honnête martyr. Et combien que vous soyez cadet, médecin
et sans un sol, je vous aime déjà d’assez bonne amitié.
Et ce disant, elle me bailla sur la
joue un petit baiser. Et bien qu’il fût donné du haut des cent mille livres de
son père, je le trouvai assez doux pour le lui rendre incontinent sur une
petite fossette fort aguichante qu’elle avait au coin de la lèvre sur laquelle,
par aventure, je mordis un peu. Sur ce, elle rougit, les yeux béants et le bec
cloué, n’étant pas accoutumée, je gage, à une mignonnerie dont la nouveauté la
surprit et peut-être lui plut. Observant sa vergogne et ne voulant point
attendre que son étonnement se muât en courroux, je lui fis un profond salut et
m’en allai.
Je courus droit jusqu’à la juiverie
où vivait dans une échoppe fort sombre un Martinez dont on disait qu’il
taillait les pourpoints de M. de Joyeuse. C’était un homme de teint olivâtre,
fort courbé par son métier, mais de constitution robuste, l’œil noir et
pénétrant et je ne sais quel air de secrète et continuelle gausserie répandue
sur le visage.
Je lui dis non sans une certaine
piaffe (tant mes deux cents écus me donnaient fiance en moi-même) qui j’étais,
et chez qui je logeais. À mon sentiment, il le savait déjà, étant marrane et
tenant boutique non loin de la place des Cévenols où Maître Sanche avait son
apothicairerie, mais il ne dit mot, m’envisageant de son œil fin en mignonnant
sa barbe. Il me montra avec des gestes enveloppants ses étoffes qui étaient
fort belles et qui, dans la pénombre et sous ses mains, le paraissaient
davantage mais ne voulut pas citer leur prix, disant : « Fi
donc ! cela n’importe ! nous en reparlerons ! » Et comme
enfin sur mes instances, il le nomma, il était si élevé que, me rebéquant et
levant les deux mains, je tirai vers la porte. Il me rattrapa par le coude et,
me submergeant sous des cajoleries infinies, me supplia de ne point lui enlever
ma pratique.
— Vous l’aurez, dis-je, à
condition d’en rabattre la moitié.
— La moitié, fi donc ! un
gentilhomme barguigner avec un tailleur !
— Monsieur, dis-je, à la
différence de d’aucuns gentilshommes dont je tairai les noms, tant ils sont
hauts, je vous paierai, moi, rubis sur ongle. C’est rien du tout, ou la moitié.
Une bonne et saine moitié payable en écus d’or tout ronds.
— Ha Monsieur, cria Martinez,
vous me mettez le cotel sur le gargamel ! C’est la mort que cela !
Et ses cris ameutant sa tribu,
envahirent alors l’étroite et sombre échoppe sa femme, ses trois fils et ses
quatre filles, m’étouffant sous les civilités et me suppliant quasiment à
genoux de ne pas réduire leur pauvre père à la pauvreté. Je tins bon, trouvant
autant de divertissement à cette scène que Martinez lui-même, qui avait l’air
d’un maestro qui, par d’imperceptibles signes et clins d’œil, dirige sa troupe,
et à vrai dire, je ne sais pourquoi il me donna cette comédie ; sinon pour
que je ne descendisse pas plus bas dans mes exigences. À vrai dire, je n’y
pensai pas. Je me tins à la moitié, et Martinez l’accepta, me laissant fort
content, contentement qui s’évanouit le lendemain quand j’appris par Cossolat
que cette moitié, justement, c’était son
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