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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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bec
quelque peu cloué, Aglaé prit le parti de rire.
    — Et vous osez continuer !
dit-elle en observant mes regards.
    — Madame, c’est qu’il y a autre
chose à voir de côté que de dos.
    — Alors, marchez devant
moi ! dit-elle d’un ton de commandement.
    — Quoi ! dis-je, comme un condamné !
Cependant, trouvant le jeu plaisant, j’obéis et au bout d’un moment, je lui dis
sans tourner la tête :
    — Je vous vois encore en mon
pensement. Je suis donc bien votre captif, mais de votre beauté seule.
    — Le beau prisonnier que j’ai
là ! dit Aglaé. Un cadet ! Un gentilhomme sans le sou et qui pis est
un médecin ! Fi donc !
    — Ha Madame ! dis-je, ne
déprisez pas un médecin ! Je ferais sur vous de si belles curations !
    À quoi, elle rit, et frappant à une
porte et la porte s’ouvrant, elle entra, fit une profonde révérence et
dit :
    — Madame, c’est un monstre,
mais il vous divertira.
    — Qu’il entre ! dit M me de Joyeuse, et, quand je la vis, elle et ses dames d’atour assises en rond,
l’œil allumé et malicieux et montrant en de périlleux sourires leurs petites
dents pointues, je me fis l’effet d’un de ces pauvres chrétiens jetés tout vifs
aux lionnes. Cependant, la scène ne laissait pas de me plaire aussi, tant
j’étais loin de me sentir inférieur aux pièges qu’on allait me tendre.
    — Monsieur, dit M me de Joyeuse en me dévisageant d’un air sévère, mais qui fut bien loin de me
décontenancer, car j’y sentais un élément de comédie, pouvez-vous me dire
pourquoi vous tenez tant à vous introduire dans les bonnes grâces de M. de
Joyeuse ?
    — Ha Madame, dis-je en souriant,
pourquoi s’introduit-on quelque part, sinon pour le plaisir qu’on y pense
trouver ?
    À cela qui était prononcé sur un
certain ton, et avec un certain regard, M me de Joyeuse, oubliant la
grande dame qu’elle était, rit à gueule bec, et ses dames d’atour aussi, mêlant
aux rires des « Ha ! » et des « Ho ! » fort
vergognés, et Aglaé s’écriant comme si de moi elle était fière :
« Madame, n’est-ce pas le monstre que j’ai dit ? »
    — Il est de fait, Monsieur, dit
M me de Joyeuse en cachant ses derniers rires derrière son éventail,
que vous êtes fort impertinent ! Aucun gentilhomme céans n’aurait eu
l’audace de me lorgner comme vous fîtes quand vous me baisâtes le bout des
doigts. En outre, vous les baisâtes comme un goulu, alors que l’usance veut
qu’on effleure.
    — Ha Madame, s’il ne faut ni
envisager ni baisoter, où donc est le plaisir de la salutation ?
    À quoi les dames d’atour rirent à
grands éclats de dents et grande houle de tétins.
    — Le plaisir ! Monsieur.
Le plaisir ! s’écria M me de Joyeuse, vous ne pensez donc qu’à
cela ?
    — À quoi puis-je penser
d’autre, Madame, m’écriai-je, quand je suis à vos pieds, et quoi disant, je m’y
jetai.
    — Monsieur, dit M me de Joyeuse en prenant un air hautain qui me parut quelque peu contrefait, tant
elle était à son affaire voyant un homme à ses genoux, sachez d’abord que je me
targue d’une vertu éprouvée, encore que j’aime à rire un peu, mais en toute
innocence. Et combien que je sois courtisée par tout ce que compte le Languedoc
de beaux gentilshommes, je fais de ces soupirants des martyrs et non point des
heureux.
    — Madame, dis-je toujours à
genoux, mais sans rien éteindre de l’effronterie de mes regards, je l’entends
bien ainsi, mais je vois en vous tant de beautés diverses que j’aspire de tout
cœur à ce martyre-là, si vous y consentez.
    — Quoi, Monsieur, dit-elle avec
la dernière coquetterie et en jouant avec son éventail, suis-je si belle ?
On dit pourtant que j’ai le front un peu étroit.
    — Madame, les fronts étroits
annoncent beaucoup d’esprit. Hippocrate l’affirme en ses aphorismes. Et qui
aimerait à envisager votre front, quand vos yeux sont là, grands comme des
lacs, profonds, mordorés et feuillus.
    Ici les dames d’atour, encore
qu’elles entre-échangeassent en catimini quelques sourires, firent entendre un
petit murmure d’adulation qui était une sorte d’« amen », mais dans
les tons profanes.
    — Cela va assez pour les yeux,
dit M me de Joyeuse, mais de méchantes langues disent que j’ai le nez
un peu long.
    — Long, Madame ? Il est
racé. Et quel regard s’y attacherait, quand il pourrait se poser sur ces lèvres
si douces et si charnues s’ouvrant

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