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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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prix habituel, et qu’il ne demandait
pas davantage à M. de Joyeuse, lequel, d’ailleurs, ne le payait jamais.
    Ce qui fit que je ne fus pas tenté
d’abréger la scène des lamentations, c’était que les quatre filles de Martinez
étaient fort belles, à ne pas savoir, à la vérité, où bailler de l’œil. J’y
parvins pourtant et envisageai tour à tour ces ensorcelantes houris dont les
yeux de gazelle luisaient dans la pénombre, et je me disais – Aglaé ayant
mis mon pensement sur le sujet du mariage – que je ne pouvais, étant
gentilhomme, marier la fille d’un tailleur ; et pas davantage une
demoiselle marrane, épouser un chrétien ; et moins encore un cadet sans
pécunes s’allier à Aglaé. Ha pensai-je, où qu’on se tourne, ce ne sont partout
que barrières ! Si Dieu a fait le monde et l’a bien fait, j’aimerais
savoir qui depuis l’a si mal ficelé.
    Agitant ce pensement, je revins à
pas fort lents à l’apothicairerie et là, ce jour, si bien commencé pour ma
gloire et mon profit, se tourna tout soudain en navrement et ineffaçable
chagrin. Luc m’attendait dans ma chambre, l’œil triste et la mine fort longue.
    — Mon Pierre, dit-il d’une voix
morne, j’ai pour toi une nouvelle qui ne laissera pas de t’affliger. Dame
Rachel vient de chasser Fontanette.
    — Quand ? m’écriai-je, ma
gorge se nouant.
    — À l’instant.
    — À l’instant ?
    — Il n’y a pas une heure.
    Ha ! pensai-je avec un remords
affreux : l’heure que j’ai perdue à barguigner sur mon pourpoint ! Je
l’eusse revue sans cela !
    — Et où est-elle partie ?
dis-je d’une voix éteinte.
    — C’est là le point, dit Luc.
Nul ne le sait. Personne céans ne connaît son village, ni ses parents, sinon
peut-être Dame Rachel qui l’a elle-même engagée.
    — Je verrai Dame Rachel sur
l’heure, dis-je en serrant les dents.
    — Ha Pierre, dit Luc en se
levant, n’y va point ! Dame Rachel est fort dépit. Elle crache contre toi
feu et flamme et demande à mon père, qui ne le veut, de te bouter dehors.
    — Elle crachera, dis-je, je
l’affronterai.
    Et descendant d’un étage, j’allai
toquer à l’huis de la dame laquelle, cuidant peut-être que c’était son mari, me
dit d’entrer.
    J’entrai fort résolu. Elle était
assise à sa coiffeuse en train de se pimplocher et quand elle me vit en son
miroir, elle se redressa, se retourna, se dressa sur sa queue comme un serpent
(me laissant fort étonné qu’une femme si belle puisse avoir l’œil si méchant et
une complexion si tyrannique) et elle me pria de sortir.
    — Madame, dis-je, vous avez
chassé Fontanette…
    — Et vous savez bien pourquoi,
s’écria-t-elle d’une voix sifflante.
    — Madame, je le saurai quand
vous me l’aurez dit.
    — Et je ne vous le dirai point,
s’écria-t-elle, ne voulant point salir mes lèvres, qui sont pures, du récit de
vos impuretés.
    — Madame, a-t-elle avoué ?
    — Monsieur, dit-elle, sa voix
s’entrecoupant sous l’effet de la violence, elle s’est confessée, je l’ai su,
je n’ai rien d’autre à dire. S’il ne dépendait que de moi, vous n’outrageriez
pas plus avant mon toit par votre présence.
    — Je vous sais gré, Madame,
dis-je avec assez de calme, de ces sentiments si chrétiens, mais me trouvant
dans cette affaire plus coupable que ne l’est la pauvre Fontanette, j’aimerais
que vous me disiez où elle s’est retirée et quel est son village, afin que je
puisse lui apporter, en sa détresse, aide et secours.
    — Elle a ses gages, cela
suffit.
    — Avec votre permission,
Madame, je crois que ses gages ne la mèneront pas loin et que, de toutes
guises, elle a grand besoin du soutien d’une main amicale.
    Cependant, comme si elle n’eût rien
ouï, Dame Rachel restait coite, majestueuse et inflexible, dardant sur moi son
œil d’agate. Et je repris :
    — Assurément, Madame, puisque
c’est vous qui l’avez engagée, vous savez le nom de son village.
    — Je l’ai su, dit-elle, une
lueur de cruel triomphe brillant dans son œil. Je l’ai su, répéta-t-elle, mais
ma remembrance est ainsi faite qu’à l’instant où j’ai chassé de mon logis cette
pestiférée ribaude, je l’ai aussi chassée de mon pensement, et j’ai incontinent
tout oublié d’elle, et son nom, et sa famille, et son village.
    Je sus alors que je ne tirerais rien
de ce silex et, ivre de fureur comme j’étais, je lui eusse volontiers serré le
col

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