En Nos Vertes Années
pour faire jaillir de son corps une étincelle d’humanité, et de sa bouche,
le nom qu’elle me cachait. Mais combien que mes regards fussent meurtriers,
elle était de marbre, elle ne sentait rien, pas même la peur. Cependant, tout
mon corps tremblait de la tête aux talons de l’effort que je faisais pour maîtriser
ma rage homicide et je ne pouvais que la regarder œil à œil, le sien glacé, et
le mien disant là haine et le déprisement où je la tiendrai jusqu’à la fin des
temps pour l’extrême bassesse de son procédé.
Sans un mot, sans un salut, je la
plantai là. Je descendis en courant l’escalier et, criant à Miroul de seller
Albière, je sellai mon Accla, et tout en passant le mors à ma jument, je dis à
Miroul que nous allions à la recherche de Fontanette, que le mieux était de
demander aux gardiens des portes de Montpellier s’ils avaient vu une garce de
sa description ; qu’il devait galoper à la porte de la Saulnerie, à celle
de Lattes et de la Blanquerie, et que pour moi, j’irais enquêtant à celle du
Pila Saint-Gély et du Peyrou.
Pour mon malheur, pour le sien plus encore,
personne n’avait vu Fontanette. Il se trouva, en effet, que par la plus ingrate
des chances, ce jour-là, à Montpellier, était jour de marché, et qu’en cette
fin d’après-midi, les laboureurs et leurs femmes, ayant vendu leurs viandes, se
pressaient en foule à toutes les portes pour regagner leur mas. Cela faisait
dans les rues un si grand embarras et un tel concours de peuple, de charrois,
de mulets, d’ânes et de paniers, qu’à peine si mon Accla pouvait avancer un
sabot. Et qui eût pu voir en cette immense foule une petite garce vêtue comme
tant d’autres et portant, en pleurant peut-être, son petit balluchon ? Les
gardiens des portes ne firent que rire quand je les interrogeai.
— Ha Moussu ! me dit l’un
d’eux, même pour vous obliger, comment aurais-je l’œil assez aiguisé pour
distinguer une aiguille dans un champ de blé ?
J’attendis que la presse fût moins
grande et je parcourus, Miroul faisant de même de son côté, deux ou trois
lieues sur tous les chemins qui sortaient de la ville, m’arrêtant aux plus
proches villages, décrivant ma pauvre Fontanette, interrogeant les ménines qui
prenaient le frais du soir sur les bancs de pierre devant les mas. Je n’obtins
rien, hormis quelques fausses pistes, dont la déception fût cruelle.
Je revins au logis à la nuit,
fourbu, empoussiéré, la gorge me serrant. Miroul était là déjà, ayant failli
mêmement en ses enquêtes, et me le disant d’un seul triste regard de ses yeux
vairons. Je lui jetai la bride de mon Accla, et ne voulant manger morcel tant
me répugnait l’idée de m’asseoir à la même table que cette gorgone, je montai
jusqu’à ma chambre et, sans me dévêtir ni me débotter, me laissai choir sur ma
couche, où je restai, hors de moi-même, sans pleur ni prière, trop rompu pour
penser. Et tant l’évidence de la perte m’aveuglait que je n’y voulais pas
croire. De sommeil point. Et je me surpris dans le silence de la nuit à épier
de l’ouïe le bruit que faisait le verrou de ma pauvre Fontanette quand elle le
tirait pour me joindre, si ronde et fraîche et ses beaux yeux brillant dans
l’ombre avec une tendresse infinie.
*
* *
Le lendemain soir, j’appris par ma
bonne Thomassine, fort dépit et troublée que Cossolat était venu voir Dame
Gertrude du Luc pendant que Samson assistait aux lectures de l’école et qu’il
était resté trois heures enfermé avec la belle dévote dans sa chambre. La
Thomassine me demanda d’aller incontinent trouver cette femme sans vergogne
pour lui reprocher l’inconvenance de son déportement. Mais je ne voulus y
consentir, craignant que cette Circé ne me transformât à mon tour en pourceau,
rien qu’en nouant ses beaux bras ronds autour de mon col. Je ne voulus pas non
plus en toucher mot à Cossolat, dont je savais bien qu’il ne ferait que se
gausser, aimant à dire qu’à chaque fois qu’un pèlerinage faisait étape à
Montpellier, il se trouvait une Roumieuse pour oublier ses saints sur son sein.
Et à cette gasconnade que répondre ? Rire avec lui ou se fâcher ? Et
se fâcher jusqu’où ?
Cependant la pensée me poignait que
mon pauvre Samson apprenant par aventure l’infidélité de sa maîtresse fût navré
de ce coup, cruel certes pour tout homme et davantage pour lui en sa colombine
innocence. Et ainsi fort
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